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l’âge véritable, deviné dès 1861 par Lachat, avait été, de nouveau, méconnu jusqu’en 1893. Aucune des questions de la géologie alpine ne lui demeure étrangère. Dans les congrès géologiques internationaux de St-Pétersbourg et de Zurich, il est salué, à l’égal d’Édouard Suess, comme le grand connaisseur des montagnes, comme celui qui doit en révéler les arcanes et en promulguer la synthèse, comme un Voyant véritable, possesseur du don mystérieux de lire, presque couramment, dans le Livre auguste où les simples talents épèlent et qui n’est familier qu’au seul génie.

Plus il monte dans la connaissance, plus son horizon s’agrandit. Les très anciennes chaînes de montagnes, ruinées et nivelées, attirent maintenant ses regards, et il entreprend de nous en raconter l’histoire invraisemblablement lointaine. La déformation du globe terrestre, les lents déplacements des pôles, les relations entre ces déplacements périodiques et la naissance successive des diverses chaînes : tels sont les problèmes qu’il ose aborder dans ces premiers mois de 1900, où il semble plus perspicace et plus hardi que jamais. Il touche au but. Encore un effort, et ce sera la claire vision de tout un monde insoupçonné ; ce sera une synthèse géologique incomparablement plus belle que toutes celles que l’on a osées jusqu’ici. Mais non ! Le nuage ne se dissipera pas, et, même, c’est la foudre qui va en sortir, effroyablement et définitivement meurtrière : comme si c’était pour l’homme un inéluctable et immédiat arrêt de mort, que de s’être approché trop près de la vérité.

Les géologues ne risquent pas d’oublier Marcel Bertrand, qui leur a appris tant de choses. Mais il serait juste aussi que son nom demeurât familier à tous les amoureux de la montagne, à tous les artistes, à tous les poètes, à tous les mystiques, qui s’émeuvent devant la gloire des sommets et devant le charme assombri des vallées. Dans la contemplation qui les jette hors du temps et de l’espace, je leur demande de songer parfois à cet homme à l’esprit puissant, qui voyait se succéder sur la planète, comme autant de vagues de pierre appelées chacune à son tour, les chaînes montagneuses des divers âges. Qu’il continue de vivre en notre souvenir, inséparable de nos chères Alpes, lui qui, bien mieux que le géant de la ballade, eût pu dire à ses compagnons :

Ensevelissez-moi parmi des monts sublimes,
Afin que l’étranger cherche, en voyant leurs cimes,
Quelle montagne est mon tombeau !