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rue Coq-Héron, avec une espèce de vertige que cinq ou six hommes comprendront, seuls, à Paris ; je monte le grand escalier, toujours sous la même impression ; j’ouvre et referme les portes avec fracas, et je me précipite enfin dans le cabinet de notre adorable marquis de V…r, qui était assis au coin de son feu, devant ce petit bureau qu’il me semble voir d’ici, ce petit bureau dont le seul souvenir me cause encore, dans ce moment, pour son propre compte, de bien autres palpitations de cœur !

Mon excellent patron s’attendait sans doute à quelque rapport d’urgence : il laisse son travail pour m’écouter, tandis que moi, la figure radieuse, la parole entrecoupée, je m’écrie tout triomphant, et en mettant mon livre ouvert devant lui : « Qu’est-ce que cela ? »

M. de V…r, avec son calme habituel, ce calme qu’il conserva même sous le poids de la plus inique persécution morale qui fut jamais, me répond : « C’est la signature de J.–J. Rousseau. » Il connaissait parfaitement son écriture, qu’il avait souvent eu l’occasion de voir dans les manuscrits autographes déposés à la bibliothèque du Corps législatif, et ailleurs. Je lui montrai ensuite les quelques lignes écrites en marge : c’était flagrant. Nous remarquâmes ensemble les mots et les phrases sans nombre qui étaient soulignées. « Voyons, dit M. de V…r, ce qu’un protestant aura pu souligner dans le quatrième livre,