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NOS POÈTES 43

  Il semble en effet que le regard intérieur de M. Sully ait pénétré d’autant plus de choses que son regard extérieur lui en révélait moins. Nulle vision matérielle ne l’a distrait ; nulle imagination ne l’a troublé, et il s’est trouvé plus apte que personne à suivre patiemment et à débrouiller les fils du sentiment et de la réflexion. Pas une de ses chansons qui n’ait été longuement « méditée », comme dit le mot latin. Pas une de ses petites pièces qui ne soit pleine de choses. Sa poésie est scrupuleuse entre toutes. Là, point de ces mots ambitieux qui masquent ailleurs la faiblesse ou le vague de la pensée. Tout part d’une âme sincère, et tout vise à la perfection. Chez nul autre poète, vous ne trouverez à la fois tant d’art, et si peu d’artifice. 
  Mais en France, nous excluons volontiers de l'art que nous pratiquons quiconque ne nous ressemble pas. Musset, comme on parlait de Laprade à l’Académie, disait à l’oreille de Sainte-Beuve : «Est-ce que vous trouvez que c’est un poète, cela ?» C’est que la poésie de Laprade différait grandement de la sienne. La poésie de M. Sully-Prudhomme, étant extrêmement intelligente, diffère de celle de beaucoup déjeunes gens. Ces jeunes gens vont jurant leurs grands dieux que l’auteur