Page:Tellier - Nos poètes, 1888.djvu/14

Cette page a été validée par deux contributeurs.

I

M. Leconte de Lisle est le plus éblouissant des peintres du monde physique. Là où il décrit, il n’y a point un mot chez lui qui ne fasse image. Hugo (si l’on excepte les Orientales) abonde en chevilles. Les mots, sous sa plume, s’appelaient l’un l’autre par une sorte de procédé mécanique : souvent, on pouvait se demander si, en les écrivant, il avait eu conscience de leur valeur. M. Leconte de Lisle est le poète le plus « conscient » qui soit. Il n’a point de hasards. Il ne sacrifie rien aux tentations de la rime. Il écrit les yeux toujours fixés sur une vision précise. Il la fait passer tout entière dans son poème, et rien qu’elle. Les anciens disaient des discours de Démosthène qu’on n’y pouvait retrancher rien, et de ceux de Cicéron qu’on n’y pouvait rien ajouter. Il semble que les descriptions de M. Leconte de Lisle méritent à la fois les deux éloges, et qu’elles étonnent également par la sobriété et la magnificence. Et n’est-ce point chose légitime, de les préférer aux descriptions de Hugo, prolixes, non composées, pleines de lacunes et de redites, traversées d’inutilités didactiques et de vocables abstraits ?