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consolation est de songer que ces choses ne doivent pas durer toujours, et mon seul souci de mesurer le temps qu’ellles peuvent mettre encore à finir.

— Hé quoi ! dit Abd-er-Rhaman, n’es-tu point immortel, et le paradis doit-il finir un jour ?

Le vieillard leva la tête et le regarda, puis il reprit, laissant tomber de ses lèvres les paroles les plus abondantes, monotones et froides, comme le ciel laisse tomber les neiges, sans les hâter, ni les ralentir, avec un air d’inconscience et d’ennui :

— Chacun des paradis et des enfers est comme la projection d’un rêve humain sur le mur de l’abîme ; mais pour enfanter un enfer et un paradis, il ne suffit point d’un élan parti d’une âme et d’un rayon sorti d’un œil ; une croyance qui n’a qu’un fidèle ne produit qu’un fantôme inconsistant et qu’une insaisissable ébauche ; et tout rêve solitaire est un rêve perdu. Lorsqu’une doctrine n’est partagée que par un très petit nombre d’hommes, ses adhérents se trouvent à leur mort dans le vide et dans le noir, au milieu de vagues linéaments sans matière et sans forme ; et comme c’est une loi de la nature que tout être s’identifie avec le milieu où il est jeté, eux-mêmes s’évanouissent aussitôt et rentrent au Néant. Mais quand beaucoup