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sur les rayons de toutes les librairies ; puis il se mit à parler messianisme. Au milieu de ses définitions, un éclat de rire partit à ses oreilles, il se retourna et vit une des trois personnes qui s’étaient éloignées à son arrivée, se rapprocher de lui et lui dire qu’il était étonnant qu’un homme raisonnable put avoir quelque croyance dans les écrits d’un manieur de chiffres prétendant expliquer tout par ses calculs mathématiques, que la chose était impossible, et il chercha à le prouver, même par des citations tirées des Ss. Pères et autres écrivains religieux ; ce fâcheux personnage était un précepteur suisse, ancien élève des jésuites de Fribourg. Le prince le regarda de haut, se retourna, et après l’avoir toisé, s’en alla en marmonnant : Sot et ignorant ! Sot, c’est possible, mais ignorant ne pouvait s’appliquer à ce précepteur qui, ainsi que je l’appris ensuite, était instruit et surtout bon helléniste, et était souvent mis à contribution par un prince Do…y qui, livré à l’étude des sciences occultes, avait recours à lui pour l’interprétation de passages d’auteurs grecs qu’il ne comprenait pas bien. J’étais resté à l’écart, causant avec l’autre chaland qui, je crois, était directeur d’un grand établissement industriel. Les éclats de voix de ces deux messieurs avaient attiré notre attention ; mon interlocuteur me dit : « Quels fous ! il faudrait les envoyer l’un et l’autre dans une maison d’aliénés ! Je me récriai en lui disant que bonnes