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Elle dit qu’elle est de la capitale.
A treize ans elle a appris à jouer de la guitare.
Et son nom est devenu le premier
Parmi les artistes :
Ses morceaux ravissaient toujours les connaisseurs.
Elle excitait la jalousie de toutes les femmes.
Tous les jeunes gens de la capitale l’admiraient.
Chacun de ses morceaux était payé
Par des présents inestimables ;
Les bijoux remplissaient son appartement ;
Sur ses jupons rouges, combien de fois
Le vin s’est répandu !
L’année se passait en fêtes ;
Le printemps et l’automne s’écoulaient
Sans qu’elle s’en aperçût.
Son frère est allé au service, sa mère est morte,
De jour en jour sa jeunesse s’est effeuillée ;
Devant sa porte les voitures et les chevaux
Sont devenus rares,
Et elle s’est décidée à se marier
Avec un marchand.
Mais il n’aime que l’argent, ce marchand,
Et ne sent pas les douleurs de la séparation.
« Il est allé, il y a un mois, acheter du thé.
Depuis son départ, je garde seule le navire,
Autour duquel la lune et l’eau
Répandent un froid effroyable ;
Et ce soir, me rappelant ma jeunesse joyeuse,
Si bien remplie, j’ai pleuré :
J’ai joué pour me distraire. »
J’avais éprouvé de la sympathie
En entendant le jeu de l’artiste :
Mais, après son récit, je n’ai pu m’empècher de gémir.
Nous sommes tous les déclassés de l’univers.
Avons-nous besoin de nous connaître