J’oserai.
Veuillez ne pas crier ainsi, je vous prie. Si vous tenez à devenir enragé, que ce soit chez vous, au moins. Mais tant que vous serez ici, je vous invite à rester convenable.
Mademoiselle, si je n’avais en ce moment d’affreuses palpitations de cœur, si je n’éprouvais aux tempes des tambourinements prodigieux, je vous dirais certaines choses… (Criant soudain.) Je vous dirais que ce pré est à moi.
Et moi, je vous répondrais qu’il est à nous.
Scène IV
Qu’y a-t-il ? Qu’avez-vous à vociférer ainsi tous deux ?
Papa, explique, je te prie, à ce monsieur, à qui appartient le pré qui est entre le bois de bouleaux et le marais. Est-ce à lui ? Est-ce à nous ?
Hé ! ce pré est à nous, mon cher ami.
Permettez, Stépane Stépanovitch. Depuis quand est-il à vous ? Soyez raisonnable, vous, du moins. La grand’mère de ma tante a donné l’usufruit de ce pré aux paysans de votre grand-père. Ces paysans en ont joui pendant quarante ans comme s’il leur avait appartenu. Et puis…
Permettez à votre tour, mon cher. Vous oubliez que, si ces paysans ne payaient rien à votre grand’mère…
Pardon, à la gr…
Oui, je sais, à la tante de votre grand’mère…
Pard…
Vous aurez beau faire, je parlerai. Si ces paysans ne payaient rien à qui que ce fût, c’était précisément parce que ce pré se trouvait en litige. Mais maintenant, tout le monde sait qu’il est à nous. D’ailleurs, reportez-vous au cadastre.
Je vous démontrerai que ce pré est mien.
Je vous en défie bien, mon bijou.
Nous verrons.
En tout cas, ma colombe, ce n’est pas avec des cris comme ceux que vous poussiez tout à l’heure… Au reste, faites attention à ce que je vais vous dire. Si vous me contestez ce pré, je le donne aux paysans.
Il ferait beau voir que vous jouiez au généreux avec le bien d’autrui !
Ah ! mais, dites donc, jeune homme, je ne suis pas habitué à ce que l’on me parle sur ce ton. J’ai trente ans de plus que vous, et je vous somme d’avoir à vous comporter à mon égard avec déférence.
Décidément, vous me prenez pour un imbécile. Vous déclarez vôtre une propriété qui est mienne, et vous exigez que je garde mon sang-froid pour en causer avec vous ! Ce n’est pas ainsi que se comportent de bons voisins, Stépane Stépanovitch. Non, vous n’êtes pas un bon voisin ; vous êtes un imposteur !