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murmura-t-il enfin. Où prendrai-je l’argent pour le drap ? Akssînia, mon amie, prête-moi l’argent que nous avons gagné sur la vache !

Akssînia lui fit la figue et cracha. Peu après, elle jouait de l’attisoir, brisait des pots sur la tête de son mari, le tirait par la barbe et s’enfuyait dans la rue en geignant : « Au secours, ceux qui croient en Dieu ! Il m’a tuée ! » Mais ces protestations furent sans effet : le lendemain matin, elle était au lit, cachant ses bleus aux apprentis, et Merkoûlov courait les boutiques, s’injuriait avec les marchands et choisissait un drap convenable.

Pour le tailleur, une ère nouvelle commença. À son réveil, embrassant de ses yeux troubles l’horizon de sa vie, il ne crachait plus avec acharnement. Et, chose plus prodigieuse que tout, il cessa d’aller au cabaret ; il se tenait à son travail. Après avoir murmuré ses prières, il mettait de grandes lunettes d’acier, se renfrognait et dépliait religieusement le drap sur la table.

Au bout d’une semaine, l’uniforme fut prêt. Merkoûlov le repassa, sortit dans la rue, le suspendit à une barrière et se mit à le brosser. Il enlevait un duvet, s’éloignait à deux pas, regardait l’uniforme en fermant les yeux, et il enlevait un autre duvet ; cela pendant deux heures.

– C’est le diable avec ces messieurs ! disait-il aux passants. Je n’en puis plus, je suis éreinté.