Cette instruction secrète nécessita de nombreuses séances.
Finalement, le Comité Spécial d’Enquête, à l’unanimité, moins une voix, — la voix du représentant du Grand-Orient, — déclara que la plainte portée contre
d’anciennes poésies qu’il reniait aujourd’hui ; ou avouer publiquement qu’il avait été anti-clérical à un moment donné, pour avoir le droit d’arrêter cette propagande.
Or, tout le monde était dans l’erreur. L’œuvre était bien d’un
Auguste Roussel, mais pas du rédacteur de l’Univers. L’auteur,
poète qui ne manquait certes pas de talent, mais qui était
demeuré inconnu du public comme la plupart des poètes, signait
en 1848 « Auguste Roussel » tout court, ce qui devait le faire confondre plus tard avec l’écrivain catholique ; et dans ces dernières années il avait adopté la signature « A. Roussel, de Méry ». — Tout cela n’a été mis au jour que par le procès qui allait
s’engager.
Ce procès me fut intenté par M. Émile de Beauvais, ami intime
de feu Roussel, de Méry, et cessionnaire des droits légués par le
poète défunt. J’étais dans une situation très fausse. Au point de
vue catholique, j’avais évidemment tous les torts : c’était surtout
parce que j’étais convaincu que l’auteur était M. Auguste Roussel (de l’Univers) et que je pensais que cette réimpression lui
serait désagréable et lui lierait les mains, c’était principalement
pour cela que j’étais en faute. Au contraire, au point de vue
anti-catholique, je n’avais qu’un tort, celui d’avoir partagé une
erreur générale : si l’auteur avait été réellement M. Roussel (de
l’Univers), toute la presse républicaine m’eût félicité d’avoir osé réimprimer malgré lui ses anciennes œuvres.
Comme à cette époque je ne me préoccupais que de l’opinion
des républicains et des libres-penseurs, je cherchai uniquement
dans ma défense, à établir ma bonne foi, à prouver que j’avais
été victime d’une similitude de nom, à démontrer que j’avais eu en vue, non l’appât du gain (on sait que jamais éditeur ne s’est
enrichi, certes, en publiant des volumes de poésies), mais un
acte hostile et de bonne guerre, contre un adversaire réputé.
Le Tribunal, qui n’avait pas à se placer au point de vue anti-catholique pour apprécier les faits, qui dans la cause n’examinait
que le côté matériel, puisqu’il s’agissait d’une action civile, me
condamna à des dommages-intérêts, et ses considérants déclarèrent que le fait d’avoir cru M. Roussel (de l’Univers) auteur de
l’ouvrage en litige, et d’avoir réimprimé cet ouvrage dans le but
exprès de lui nuire, ne me rendait que plus coupable.
Je fis appel. La Cour partagea l’avis du Tribunal Civil et