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Cette nuit-là, et les cinq suivantes, je fus encore tourmentée par les mauvais esprits, mais moins cruellement.

Le 15, j’assistai à la sainte messe, et je passai la plus grande partie de la journée en prières. L’excellent aumônier fut d’une exquise délicatesse à mon égard. Je lui montrai quelques-uns des livres que j’ai reçus de tant de nouveaux amis, pour la plupart inconnus, et que j’avais emportés. Je lui demandai conseil dans mon choix de pieuses lectures.

L’après-midi, après vêpres, tout le monde s’étant retiré de la chapelle, je demandai la permission de me mettre au petit orgue. J’avais la tête pleine de la musique sacrée, que je venais d’entendre.

D’abord, je me laissai aller au hasard de l’improvisation, et je chantai doucement l’Ave Maria, dans les notes qui me venaient, sans chercher à les retenir ni à les reprendre, mais les égrenant au fur et à mesure, dans un lent accompagnement où je berçais mon âme.

Mais voici que je songe à Jeanne, à sa mission qui n’est pas finie, aux invocations qui lui sont adressées de toutes parts par les catholiques, pour lui demander aide et secours, en particulier contre la franc-maçonnerie.

La secte redoute, avec terreur, que Jeanne d’Arc soit placée sur les autels. Il y a là un signe attestant les prévisions de Lucifer. Cette sourde colère des loges et des arrière-loges est un écho des rages du royaume infernal, on ne saurait s’y méprendre : Satan sait que l’archange Michel le terrassera encore et toujours, et cette fois par le bras de la sublime héroïne.

À cette pensée, un transport me gagne. Je me recueille un moment. Mon cœur vibre dans un élan d’enthousiasme, où la supplication se mêle au cri de guerre. « Jeanne ! Jeanne ! descends du ciel à notre prière. Jeanne ! Jeanne ! sois notre chef. L’ennemi, aujourd’hui, c’est le franc-maçon ; Dieu l’a dit par la bouche de son auguste Vicaire. Jeanne ! Jeanne ! mène-nous au combat contre la secte impie, satanique. Avec toi à notre tête, comment ne vaincrions-nous pas ? »

D’elles-mêmes, les paroles rythmées jaillissent de mes lèvres, dans l’harmonie du chant. Sans aucun effort, voilà le premier couplet composé. Mais j’en demeure là ; l’air surtout me paraît rendre assez bien mon sentiment, et je le reprends, je le répète, et les notes se gravent dans ma mémoire. Puis. je perfectionne les accords de l’accompagnement. À la cinquième reprise, je n’ai plus aucune hésitation, et j’attaque avec vigueur, mais sans précipiter, en andante marziale.

Alors, je m’aperçois que la bonne supérieure et M. l’aumônier sont revenus, après moi ; ils m’écoutent, et maintenant ils me complimentent.