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jamais eu une pensée de doute sur la divinité de Notre Seigneur Lucifer, et tout mon cœur et toute mon âme sont à lui, et je me suis vouée à lui avec bonheur, et tout mon être a tressailli d’une indicible joie, quand tout à l’heure, devant vous, j’ai renouvelé solennellement ce vœu !… Mais, si mon mépris et ma haine sont pour Adonaï et son Christ, ce mépris et cette haine ne s’adressent pas, ne sauraient s’adresser à ce morceau de pain que vous me présentez. Le Dieu d’intelligence n’ordonne pas à ses fidèles des actes de folie. Non, mes très chers Frères, non, mes très chères Sœurs, je ne me livrerai pas à ces voies de fait, absurdes, ridicules, et hautement, en mon âme et conscience, je les déclare indignes de mon Dieu !… Qu’on le sache bien : je ne suis point une folle. Le Très Puissant Grand-Maître vient de me dire que l’épreuve n’a pas pour but unique de connaître l’opinion de la récipiendaire, mais qu’il est de règle d’accomplir réellement les prescriptions de la Grande-Maîtresse concernant ce morceau de pain. Non, je ne ferai pas, cela ; il est inutile d’insister… Ah ! qu’après ma mort mon Dieu m’accorde la grâce, dans une bataille céleste, de me mettre face à face avec le Traître abhorré ! que je puisse, esprit contre esprit, le combattre en tête à tête ! oh ! je sens que ce serait pour moi, cette lutte, la plus divine allégresse du paradis !… Réservons-nous donc pour les terribles guerres de l’au delà. Ici, sur cette terre, affranchissons les hommes de la domination des prêtres ; mais, le pain étant pain en dépit des mensonges de la caste sacerdotale, ne guerroyons pas contre une matière inerte. Soyons les êtres intelligents à qui Lucifer, père de la vie, a donné la raison ; ne compromettons pas notre apostolat sacré par des insanités, par des œuvres d’extravagance, par des pratiques d’aberration. J’ai dit.

Personne ne m’avait interrompue.

Tandis que je parlais, Sophia, fiévreuse, agitée, se mordillait les lèvres. Le président était blême. Mon langage était nouveau pour eux tous, parait-il ; un long silence suivit mon discours, tant on était stupéfait.

Sans prononcer un mot, mais me lançant un regard irrité en passant près de moi, Mlle Walder descendit vivement de l’estrade, alla à un brasier qui se trouvait sur un trépied auprès du Maître des Cérémonies, et dans les flammes elle jeta l’hostie.

Puis, d’une voix étranglée, elle cria :

— Jamais ce Triangle n’eut un tel scandale !… Frères et Sœurs, la réception de la Chevalière Masanec est ajournée… Priez Notre Seigneur de détourner de cet orient sa divine colère !…

Je saluai le F▽ B*** et descendis à mon tour.

Tout le monde s’écarta sur mon passage.

— Bonsoir ! fis-je, en me retournant vers ces folles et ces fous, quand je fus parvenue à l’Europe.