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« J’écris ceci, parce que j’aime votre âme. Ouvrez les yeux, si vous ne voulez pas être perdue pour l’éternité.

« ✝ Asmodée, démon de l’impudicité, — au nom de Jésus, Roi du Ciel et de la terre, — régnant dans l’Eucharistie, — je t’ordonne de rentrer dans les enfers ! »

Je fus outrée de cette lettre : elle me parut outrageante au plus haut point. En mon erreur, je la jugeai atrocement calomnieuse envers mon fiancé. Mais l’indignation ne fut pas mon seul sentiment.

L’écriture était mouillée, très mouillée.

— Le moine, me disais-je, a aspergé sa lettre d’eau maléficiée.

Et je mis le papier à distance, pour le relire. Je l’avoue, je n’étais pas rassurée ; il me semblait que quelque maléakh allait sortir tout à coup de ce papier adonaïte. Je me tenais en garde… Puis, je récitai vivement quelques prières lucifériennes, demandant au Dieu-Bon de me préserver contre les attaques du Royaume Humide… Enfin, par mesure de précaution, je résolus de brûler cette lettre, après en avoir pris copie, toutefois ; car, malgré mon échec, je considérai intéressant de garder complet l’ensemble de cette correspondance. Je l’ai retrouvée récemment, parmi la quantité innombrable de lettres que je reçus.

Oh ! je n’eus pas la moindre tendance à évoquer de nouveau Asmodée, pour lui présenter la feuille où je ne voyais alors qu’horribles blasphèmes. Je me dis au contraire :

— Combien Asmodée avait raison !…

Quand je brûlai la lettre, j’étais toute frissonnante, et avec quel soulagement j’en dispersai les cendres, les ayant emportées loin de chez moi !

Aujourd’hui, je suis dans la confusion, en jetant ce coup d’œil en arrière. Je me demande comment j’ai pu, si longtemps demeurer le jouet des démons ; je frémis à la pensée de l’abîme où mon âme était plongée, si bas, si bas, si profondément dans le gouffre de damnation ; et je tremble, en songeant que le péché pourrait tuer encore ma pauvre âme ressuscitée !

Cette honte du passé, nécessité de ne la point éviter. L’humiliation aide au salut, et je ne saurais trop m’humilier. Voilà pourquoi je viens de montrer la coupable que je fus : coupable d’orgueil, coupable de lâcheté, coupable de refus d’ouvrir les yeux, coupable d’avoir attristé un saint religieux, coupable d’avoir accepté des puissances infernales un odieux rôle pour essayer de le perdre. Ce fut plus qu’une faute, tout cela ; ce fut un crime.

Et Dieu pardonne de tels crimes !… Miséricorde infinie !… Est-ce bien possible ! Suis-je vraiment pardonnée ?… Non, le ciel n’est pas pour moi ; j’en suis indigne ; et quand aujourd’hui quelque bon prêtre m’écrit dans son enthousiasme : « Nous nous connaîtrons au ciel », j’ai peur, oui, j’ai peur que