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crainte ; l’émotion m’avait saisie et me secouait. Il était alors mon dieu ; je l’aimais au-dessus de tout, en ma ferveur abusée ; rien ne m’avait encore fait soupçonner sa malice, son hypocrisie, sa haine de la créature, sa jalousie de l’homme, son épouvantable méchanceté.

Quelle hypocrisie, en effet, est la sienne ! Le mensonge humain ne saurait atteindre ce degré de scélératesse ; on en va juger.

Il commença par me rassurer. Sa voix était de la douceur la plus exquise ; elle me pénétrait et me charmait. L’émotion première, causée par sa subite présence, se calmait.

— Mon enfant bien-aimée, me dit-il, je t’ai distinguée entre toutes. Je veux que personne, parmi mes fidèles, ne te suscite une contrariété. J’ai de grandes vues sur toi. Ne crains rien, et va ! C’est ma pensée qui t’inspire.

Ces paroles m’avaient enhardie.

— Ô Dieu tout bon, tout aimable, lui répondis-je, je ne sais comment vous remercier. Je rapporterai toujours à votre gloire les dons intellectuels que je tiens de votre divine toute-puissance et que l’enseignement reçu de mon père a cultivés ; mais augmentez sans cesse en mon esprit l’intensité des lumières célestes, afin que je remplisse pour le mieux la mission d’apostolat que vous me donnez… Seigneur adoré, suis-je dans le vrai en refusant de transpercer le pain eucharistique où les adonaïtes prétendent voir leur Christ déifié ? N’ai-je pas raison de tenir pour aberration mentale cet acte d’hostilité contre un inoffensif azyme ?… En admettant que le Dieu-Mauvais ait réellement, par le pacte du Thabor, communiqué, comme en un partage, sa divinité à Jésus qui vous renia, il n’a pu lui donner l’ubiquité, puisque l’ubiquité n’appartient à personne, pas même à l’Être Suprême ; ainsi mon père me l’expliqua : chimère, invention sacerdotale des mauvais, mensonge d’orgueil d’Adonaï se disant seul Dieu ; l’ubiquité est contraire à la raison. Car il est deux cieux, le vôtre et celui de votre inférieur rival, m’a-t-on enseigné ; ils ne peuvent donc co-exister l’un l’autre par pénétration mutuelle et infinie ; Adonaï ne saurait être en tout, ni vous-même en tout, Seigneur adoré. En ce moment, vous êtes ici devant moi, je vous vois ; c’est une faveur immense que vous m’accordez, votre présence réelle, visible et tangible, à moi qui vous aime de toutes les forces de mon âme ; donc, vous n’êtes pas ailleurs. Vous avez la personnalité suprême, et la personnalité exclut l’ubiquité… Me trompé-je, Dieu tout bon ? Si je suis dans l’erreur, éclairez-moi.

J’attendais sans anxiété sa réponse.

Il croisa ses bras sur sa poitrine ; son regard plongeait dans le mien.