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Bataille est unique. Mais il est des sceptiques au sein des Loges même illuminées ; il en est jusque dans les Ateliers du Palladium. L’auteur du prétendu attentat, demeuré introuvable, fut, je pense, une Sœur plus que légère, ayant voulu faire une plaisanterie à sa façon ; c’est la Soeur V. M., en effet, qui a été soupçonnée.

L’accident ne ressemble en rien à celui de Crispi ; lui, il fut empoisonné. Sophia, après avoir bu un verre de limonade, pendant le bal qui suivit le banquet, eut une crise, inoubliable pour les FF ▽ et SS ▽ de la parfaite initiation qui l’emportèrent et lui donnèrent des soins. D’abord, des douleurs internes, au moment où on l’emporta ; ensuite, elle vomit des flammes. Le plus singulier : quand les flammes eurent cessé de sortir de sa bouche, elle se trouva fort bien portante, et mieux que jamais, a-t-elle raconté. Or, le lendemain, par un commissionnaire, quelqu’un lui envoya une bouteille d’eau de Lourdes, achetée à un dépôt de Paris, et qui était entamée. Dans le papier qui enveloppait la bouteille, il y avait un billet, en dactylographie, afin que l’écriture ne pût être reconnue ; et ce billet disait : « Ce n’est pas du gin, c’est de l’eau ; vous en avez bu hier ; votre Sœur Hébé serait curieuse de savoir si vous finirez la bouteille. Elle vous l’offre. Vive la joie et les pommes de terre frites ! »

Cette dernière phrase, qui est la marque d’un esprit mal équilibré, écarte la pensée que l’on aurait pu avoir : un catholique, certain de la miraculeuse vertu de l’eau de Lourdes et ayant voulu, en en faisant boire à Sophia par subterfuge, lui prouver qu’elle était possédée. D’ailleurs, un ou une catholique n’aurait pas recouru à un tel moyen pour lui rendre ce service ; car comment avoir pu se trouver initié et participant à la Maçonnerie androgyne ?… On se trouvait donc en présence d’un fait, incompréhensible comme perpétration, d’une de ces espiègleries de tête-à-l’envers dont la Sœur V. M. est coutumière ; c’est pourquoi elle fut soupçonnée.

Quant à moi, de ce curieux incident de la vie de Sophia, je conclus à la personnalité humaine de la première Souveraine en Bitru. Il me semble que, si cette grande-maîtresse était un démon, l’eau de Lourdes absorbée eût provoqué, non pas une crise, suivie d’une évacuation de flammes, mais biens sa disparition complète, instantanée. Elle a souffert : c’est le démon, logé en elle, qui souffrait et qui s’agitait, lui causant de violentes douleurs. Elle vomit des flammes ; c’est le démon, qui, n’y pouvant plus tenir, s’est évadé de son corps, sous l’action de l’eau sainte, quoiqu’elle eût été mêlée sans foi à la boisson de la possédée. Sophia est donc une possédée à l’état latent, non un démon.