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mèrent à leur tour. Je ressentis une grande chaleur, pourtant non incommode ; elle ne provoquait pas la sueur. Les flammes qui m’environnaient n’étaient point consumantes, non plus ; elles léchaient mon siège, mes vêtements, sans rien détruire. Je pensai avec joie que j’étais dans les flammes divines, et tout mon cœur brûlait d’amour pour Lucifer…

L’infâme ! combien il m’a trompée !…

Soudain, la foudre tonna : trois coups éclatèrent, se succédant avec rapidité ; puis, un coup seul ; ensuite, deux coups consécutifs d’une violence extraordinaire. Alors, je sentis cinq souffles brûlants sur mon visage, et je vis cinq esprits, cinq génies d’une radieuse beauté, planant dans l’espace, au-dessus de l’endroit où le Baphomet était érigé ; mais le Baphomet avait disparu. Les cinq esprits vêtus de longues tuniques blanches, flottantes, avaient des ailes ; ils étaient en cercle, étendant leurs mains vers la place du Palladium devenue vide. Enfin, un septième coup de tonnerre éclata, plus formidable que les précédents.

À l’instant, je vis Lucifer devant moi, assis sur un trône de diamants, sans qu’aucun mouvement de venue ait eu lieu. Il n’avait pas surgi ; il semblait qu’il avait toujours été là, et non le Baphomet.

Saisie de respect, j’allai me précipiter à ses pieds. Il me retint du geste.

— Demeure debout, ma fille chérie, me dit-il ; la prosternation est humiliante, et je n’humilie pas ceux que j’aime et qui m’aiment.

J’ai compris maintenant son imposture. Merci, ô seul vrai Dieu qui m’avez éclairée sur les fourberies de Satan !

Il était superbe, le suprême menteur ; il m’apparaissait bien tel que je l’avais désiré. Sa mâle beauté, en ce jour inoubliable, est indicible : sous ma plume, je ne trouve aucune expression pour faire comprendre cette splendeur imposante et ravissante ; nulle comparaison aussi n’est possible avec les statues célèbres d’Apollon ou autres, les plus parfaites.

Des pieds à la tête, qui seuls étaient visibles en chair, ainsi que les mains, il était vêtu d’or, ou pour mieux dire, des ors éblouissants qu’une agréable variété rendait plus magnifiques encore ; imaginez une sorte de cotte de mailles ou un maillot tout en parcelles d’or, grosses comme des perles ordinaires, et tout ces ors rouges, jaunes, verts, mêlés, mouvants, laissant les formes irréprochablement académiques bien dessinées, d’un effet de richesse céleste, tout ce qu’un artiste aimant la somptuosité peut rêver à la fois de plus fastueux et de plus beau.

Ah ! combien j’étais égarée, combien j’étais victime de l’erreur, quand je croyais voir en Satan un dieu, quand je lui donnais, dans mon aveugle adoration, le nom de divin maître !… Que mes larmes effacent