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rable. La seule circonstance atténuante que j’accordais à sa laideur : l’icone magique avait été sculptée en une époque où l’art n’existait guère, où les statuaires étaient des ouvriers plutôt que des artistes inspirés par le génie, où ils avaient le cerveau hanté de fantaisies grossières. Cela se constate dans les sculptures des antiques cathédrales : on y admire la belle harmonie architecturale, la splendeur d’ensemble de l’édifice, mais souvent les statues y sont invraisemblables dans les proportions et les formes, et l’on y voit même des figures fort laides. Ajoutez que le Baphomet templier avait subi, en outre, les injures du temps. Ainsi, l’horreur que j’éprouvais diminuait un peu, bien peu.

Toutefois, je me demandais pourquoi Pike m’avait dit de méditer en tenant mes yeux fixés sur le Palladium. Je ne trouvais là aucun sujet de méditation, si ce n’est de songer au malheureux sort des Templiers et de les plaindre. Je n’attristerai pas les chrétiens qui liront ces pages, en leur communiquant les idées qui assaillirent alors mon esprit ; ces idées sont aujourd’hui loin de moi, à jamais repoussées.

Ma pensée principale, quand je me reprenais à contempler ce Baphomet obsédant, était celle-ci : — Les catholiques font de Lucifer un diable ; ils le représentent affreux. Or, le Dieu-Bon ne peut être que la suprême beauté. Puisque bientôt je le verrai, puisqu’il va daigner m’apparaître, je connaîtrai par moi-même ce qu’il en est. Ô mon Dieu, disais-je, montrez-vous à moi dans tout l’éclat de votre gloire ; je sens que je cesserais de croire en vous, si vous ressembliez à cette vilaine et absurde œuvre de Mages rétrogrades qui ne vous ont jamais compris.

Je ne doutais pas de l’apparition ; mais je l’attendais sans impatience, dans un recueillement toujours plus profond. Quand je rouvrais les yeux pour regarder encore le Baphomet, c’était avec cette réflexion : — Non, mon Dieu, vous n’êtes pas tel que cette icone affreuse ; des ignorants l’ont taillée, et ils y ont attaché une légende, afin de donner quelque prix à leur ouvrage. C’est vous-même, ô Dieu-Bon, qui protégez vos enfants fidèles, et non pas ce bloc mal dégrossi ; ma raison se refuse à y voir votre œuvre. Ce bloc hideux, vous le transformerez un jour en une statue delphique, excellemment admirable, et ce miracle marquera le point de départ de l’ère de la lumière pour tous… moi, ô mon Dieu, que je ne me trompe point ; faites qu’il soit ainsi !…

Les minutes se précipitaient, les heures passaient. Nul bruit du dehors ne parvenait à mon oreille. Je n’avais rien qui put m’aider à mesurer le temps. Pleine de confiance, j’attendais toujours le moment de l’apparition.

Voici que les minuscules flammes grandirent, voici qu’elles jaillirent plus fortes des épaisses murailles, voici que le plafond et le sol s’enflam-