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durcir le cœur des jeunes gens, comme à Lacédémone, en leur faisant faire la chasse aux ilotes.

Cette rudesse de sentiment chagrinait ma mère ; mais elle n’osait protester, étant d’un caractère faible, s’annihilant au foyer domestique. Sa protestation muette se traduisait en œuvres de bienfaisance. Quand papa s’absentait pour ses affaires, elle m’emmenait visiter ses pauvres.

J’avais quatorze ans, quand ma bonne mère mourut. J’étais alors une grande fille, vive et robuste, déjà habituée à sortir seule.

J’ai raconté ailleurs, avec mes impressions de fervente palladiste, comment le démon se manifesta visiblement à moi pour la première et la deuxième fois. Or, ce récit se trouve en un recueil dont la lecture n’est possible, sans danger, qu’aux prêtres de Jésus-Christ fortement aguerris contre Satan. Pourtant, je ne saurais passer sous silence, dans ces Mémoires, ces deux manifestations diaboliques, qui influencèrent si fortement ma destinée.

Je referai donc ce double récit, en parfait scrupule de la vérité, mais en m’exprimant de façon à ne pas heurter la foi de mon lecteur d’aujourd’hui.

C’était en 1880, à l’époque des vacances ; j’avais, par conséquent, seize ans passés.

Mon père avait été appelé, par ses affaires, dans la région de Mammoth Cave, à quelque cent kilomètres de Louisville, au sud ; on devait demeurer là tout un mois. Maman m’avait légué une assez forte succession de malheureuses familles ; quelques-unes étaient établies en ces parages, où mon oncle possède une propriété.

Une restriction, cependant ; j’obéis à la nécessité qui s’impose à moi de faire la lumière ; mais on admettra que telles considérations, d’un caractère tout intime, m’obligent, d’autre part, à ne créer aucun chagrin à qui je tiens par les liens du sang. Ainsi que je l’ai fait lorsque j’avais à cœur de ne pas signaler directement aux catholiques, considérés alors par moi comme des ennemis, je maintiendrai encore aujourd’hui, pour une autre raison, la désignation que j’avais adoptée pour nommer l’endroit, sans le faire reconnaître.

Le premier fait s’est donc passé aux environs de… Mauford, nom que portait la localité il y a une trentaine d’années.

Mauford, entre Louisville et Nashville, est à dix milles de Mammoth Cave. La campagne, au nord, est pays assez plat avec une route excellente, renommée dans l’État ; elle traverse des forêts magnifiques, depuis Louisville, et les éclaircies sont occupées par les immenses