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de mon cas ; après quoi, il avait ordonné que je lui fusse présentée le troisième jour suivant. J’éprouvai un grand bonheur, à cette nouvelle.

Donc, dès le lendemain, je me préparai, joyeuse de suivre les prescriptions qui me furent communiquées de la part d’Albert Pike.

Le samedi et le dimanche, je ne pris qu’un repas, le soir, après le coucher du soleil ; ce repas était uniquement composé de pain noir, d’un plat de sang frit fortement épicé et d’une salade d’herbes laiteuses ; de l’eau de source, pas de vin. Je demeurai, ces deux jours-là, renfermée dans ma chambre, où je priai et méditai. Je n’avais à dormir que trois heures, et ce sommeil était interrompu par deux fois. Couchée sans me dévêtir sur un lit dur, à sept heures, j’étais réveillée à huit par une des femmes commises à ma garde ; à onze heures, je me couchais de même, pour être réveillée à minuit ; enfin, le dernier repos était de trois heures à quatre du matin. Pendant les heures nocturnes, j’avais pour seul éclairage la légère lumière d’une veilleuse, brûlant devant une statuette du Dieu-Bon ; cette statuette est une réduction de la grande image de Lucifer, qui est au Sanctuaire de la Vraie Lumière, centre du Labyrinthe Sacré ; le dieu des Triangles, ayant les ailes déployées, tenant un flambeau et une corne d’abondance, foulant du pied droit un crocodile à trois têtes.

Ce dimanche 7 avril, le trésorier du Sérénissime Grand Collège vint interrompre ma méditation pour me demander quels métaux j’avais résolu d’offrir en vue du triomphe de la sainte cause. Je donnai tout ce que j’avais sur moi ; ce fut mon premier versement pour la propagande générale et l’aide à la création de Triangles dans les provinces mal favorisées.

Le lundi, je ne pris aucun repas. Pour me soutenir, dans la journée, je bus une infusion de chènevis, à plusieurs reprises ; trois Émérites vinrent auprès de moi et bénirent la boisson. J’allais oublier de dire que la chambre que j’occupais était dans l’immeuble qui appartient au Suprême Conseil. À sept heures du soir, deux membres de la Masonic Veteran Association parurent et me dirent de les suivre ; mais alors, j’étais si heureuse que je chancelai ; ils durent me soutenir, tandis que je marchai. Je me rappelle que je ne voyais plus rien autour de moi ; mon esprit était tout-à-fait absorbé par la pensée que j’allais contempler face à face le Dieu-Bon… Dans combien de temps ? Je l’ignorais encore.

Quand je fus arrivée au dernier parvis, les portes de fer du Sanctum Regnum s’ouvrirent ; mes deux accompagnateurs demeurèrent au dehors, et j’entendis la voix d’Albert Pike, qui me disait :

— N’ayez aucune crainte, chère Sœur, entrez.