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dons déjà sur l’Europe presque entière. Nous tiendrons un jour les deux mondes dans nos mains. Si tu veux remplir dignement la mission que le Très-Haut Lucifer t’a donnée en te choisissant pour me succéder, applique-toi sans cesse à réchauffer le zèle des Maçons Acceptés ; car, je te dis de par notre Dieu, ces Loges aujourd’hui si bénignes contiennent le volcan dont la lave submergera et détruira à jamais la religion du Christ maudit. »

Et Philalèthe écrit en note :

« Quand je parlais ainsi au jeune homme, il ne pouvait contenir son enthousiasme ; à plusieurs reprises, il se précipita à mon cou et m’embrassa ».

Cette grande affection de Thomas Vaughan pour Charles Blount reposait en majeure partie sur la conformité de leurs sentiments impies. Il y avait autre chose encore : parfois, Philalèthe se sentait triste ; son enfant lui manquait ; il lui semblait que, si sa fille avait pu être auprès de lui, c’est ainsi qu’il l’aurait élevée. Mais son Dieu avait arrêté qu’elle lui resterait toujours étrangère ; il ne tenta pas d’essayer de la revoir, ce qui lui eût été facile en retournant en Amérique. Il se soumettait à la volonté du Dieu-Bon, qui le voulait tout entier à son œuvre de chef suprême de l’occultisme.

« Mon Dieu, répétait-il souvent dans ses prières, je vous ai fait le plus grand sacrifice qui put me coûter ; être privé de mon enfant !… J’ai accepté cette dure épreuve de ne jamais la voir en ce monde… Du moins, faites-moi savoir qu’elle vit encore et qu’elle est heureuse ! »

Lucifer accédait souvent à son désir.

Un daimon d’ordre inférieur lui apparaissait parfois, rarement le même, et lui donnait des nouvelles de la Diana Wulisso-Waghan. C’est ainsi qu’il la suivait de loin dans l’existence. Il la sut grandissant parmi les Adorateurs du Feu lenni-lennaps ; il la sut fiancée, puis épouse du plus vaillant guerrier d’une tribu delaware ; il la sut mère.

Mais jamais il ne put la voir de loin, dans ses œuvres d’occultisme. Le prétendu Dieu-Bon lui refusa cette satisfaction.

Thomas avait construit un miroir concave, d’acier, dans lequel, après certaines prières et magiques opérations, il apercevait des personnages vivants, appartenant à la Rose-Coix ou y touchant d’une manière quelconque, par parenté avec un chef, par impiété ou autres tendances permettant à la secte d’attirer à elle, etc. Il surveillait aussi ses subalternes de la fraternité, et il guidait les recruteurs dans leurs choix ; car il voyait, comme devant lui, dans ce miroir ensorcelé, les hommes voués aux daimons et en dispositions analogues, alors même qu’ils vaquaient à leurs occupations les plus intimes.