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— Ne nous plains pas, dit Coré ; nous sommes au royaume du Dieu-Bon.

Ils lui expliquèrent qu’ils étaient envoyés vers lui par le Très-Haut le plus haut, qui le comblerait de ses faveurs, et ils lui prédirent de brillantes destinées. Il serait le Pape de la vraie religion, restaurée dans toute sa pureté de doctrine.

Quant à la pierre philosophale, Coré, s’étant avancé jusqu’au bord de la crevasse, lui en remit un fragment assez notable.

— Mais, ajouta l’infernal patriarche, le Dieu-Bon donne la pierre des Sages à ceux de ses élus qui recherchent la richesse uniquement pour l’employer à propager son culte ; en encore, en leur permettant de transmuter en argent et en or les métaux de peu de valeur, il a pour principal but de leur démontrer sa toute toute-puissance. Il veut qu’ils sachent ainsi, à n’en plus douter jamais, qu’il est souverain maître de la nature, et que son rival, le Dieu-Mauvais, n’opérant pas ce prodige, lui est inférieur… Tu te serviras de cette pierre philosophale, jusqu’à sa dernière parcelle ; mais le Dieu-Bon ne t’en donnera d’autre que lorsqu’il le jugera nécessaire. Il ne veut pas t’exposer à livrer ton âme à l’amour de l’or ; c’est pour ton bien qu’il désire te voir confiant surtout en ton activité.

Les trois démons, qui se faisaient passer aux yeux de Pike pour Coré, Dathan et Abiron, s’entretinrent quelque temps avec lui. Il lui dirent dans quel sens il fallait qu’il interprétât désormais le mot « dieux » appliqué aux esprits de lumière, adorés autrefois dans les divers paganismes ; il lui nommèrent tous les démons qui avaient eu des autels chez tant de peuples, en désignant chacun par son véritable nom au royaume du Dieu-Bon. Il lui promirent que la protection du Très-Haut le plus haut ne lui manquerait jamais, jusqu’à la fin de ses jours.

Ainsi, Pike s’est cru initié à la vraie lumière par Coré, Dathan et Abiron, et c’est là la secrète raison pour laquelle, dans ses controverses avec les ministres protestants, il soutenait toujours le fils d’Isaar et ses complices de révolte contre Moïse et les proclamait innocentes victimes.

Je comprends aujourd’hui comment fut trompé cet homme, qui eut si longtemps mon enthousiaste admiration.

Pike achevait son récit aux parfaits initiés, en disant que les rochers entr’ouverts se rejoignirent et que les trois patriarches, au sein de leur tourbillon de flammes, s’élevèrent dans les airs, pour y disparaître, après lui avoir envoyé un amical salut.

Telle est la narration qui me fut faite par mon père, et mon oncle en tirait des conclusions qui me plongeaient dans un étonnement ravi.