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je te reconnaisse digne de moi. Alors je viendrai ; alors, j’apparaîtrai devant toi, et tu te prosterneras à mes pieds, et tu m’adoreras. Je te donnerai un peu de ces grains mystérieux que Philalèthe montrait à Helvétius ; et ces grains, infernaux talismans, ces grains, qui seront le gage de ton alliance à l’abîme, ces grains opéreront la transmutation. Les hommes seront confondus devant ta science ; d’autres chercheront à leur tour, et parmi eux il s’en trouvera qui suivront ton exemple jusqu’au bout. Adore Satan, homme avide, et tu pourras écrire comme Philalèthe : « Je possède la pierre philosophale ; je ne l’ai volée à personne, je la tiens de notre Dieu seul ! »

Albert Pike a donc narré à mon père qu’au temps où son esprit flottait entre la vénération de l’antique paganisme et l’étude de projets nouveaux, il s’occupait aussi d’hermétisme en approfondissant les vieux traités d’alchimie ; la solution du grand problème qu’il savait avoir été trouvée par d’autres le passionna quelque temps.

Un jour qu’il était vivement mortifié par ses insuccès, il se sentit envahi par une idée furieuse qui lui brûlait le cerveau.

— Sors de ton laboratoire, lui disait une voix intérieure ; tes alambics, tes cornues, tes creusets sont vains pour ce que tu veux… Sors ; va en plein air, marche dans la campagne…

— Dans la campagne ?…

— Oui, marche, va devant toi, loin, loin…

Albert Pike obéit à la voix.

— Plus loin encore, lui soufflait-elle.

Il ne l’entendait plus en lui-même ; elle parlait devant lui, derrière lui, à ses côtés.

— Marche, marche !…

Enfin, elle dit :

— Arrête-toi ; c’est ici… Médite devant le Dieu-Bon, qui remplit de sa présence cette sauvage solitude.

Autour de lui, il ne voyait que des rochers.

Et il se mit à réfléchir.

« Le Dieu-Bon » avait dit la voix ; mais elle ne l’avait pas désigné par son nom. De lui-même, Pike ajouta bientôt :

— Les dieux qui sont bons sont nombreux, Apollon est bon, et Vénus est bonne, et sont bons et bonnes, aussi, Neptune, Mars, Uranus, Cupidon, Bacchus, Esculape, Faune, Mercure, le grand Pan, Cybèle, Vesta, Junon, Cérès, Diane, Thémis, Hébé, Flore et Pomone ; Pluton lui-même n’est pas mauvais, il est justicier terrible. Or, la voix m’a dit « le Dieu-Bon », c’est-à-dire celui qui est suprêmement bon, le dieu