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recommença, à parler sa langue incompréhensible ; le nom « Raphaël » revenait souvent dans ce qu’il disait, avec le nom « Asmodœus ».

À ce moment, je m’aperçus que mon père n’était plus là ; il était sorti sans bruit, tandis que je regardais mon oncle allongé sur le sol. Et mon oncle soufflait de plus belle et psalmodiait en quelque sorte à demi-voix son baroque langage. Quand mon père rentra, il apportait une poule noire ; alors, mon oncle se leva. Mon père et lui me dirent d’ouvrir la bouche ; j’obéis. Papa tenait la poule, qui se débattait, et il la tenait avec le bec ouvert, contre ma bouche ; le bec du volatile entrant un peu dans ma bouche. Mon oncle passait sur mes cheveux sa main, celle où il avait versé le liquide gras ; puis, du doigt, il me toucha les narines, les yeux, les oreilles, toujours en parlant l’incompréhensible jargon.

Enfin, tous deux poussèrent un grand cri, et mon père étrangla net la poule noire.

Ne riez pas, lecteurs, quoique ceci semble comique, tant sont grotesques les basses-œuvres de Satan, singe de Dieu. En vérité, je comprends aujourd’hui qu’aucun maléakh ne me tenait, et que le démon se jouait de mon malheureux père, de mon cher oncle. Mais si l’ange Raphaël était absent, le diable, lui, présent, attendait l’étranglement de la poule pour tromper mes parents, de façon à les endurcir dans leur funeste erreur, et pour frapper mon esprit.

Deux ou trois secondes s’étaient à peine écoulées depuis l’étranglement de la poule, que, d’elles-mêmes, sans pierre lancée de nulle part, toutes les vitres de l’une des fenêtres se brisèrent avec fracas.

— Gloire à Dieu ! s’écria mon oncle ; la chère enfant est délivrée !…

Mais tout ceci a peu d’importance ; c’est minime fait dans ma vie, si mal commencée. Laissons.

Retenons l’artitice du démon, entretenant ses alchimistes de la Rose-Croix dans l’espérance qu’ils parviendront à découvrir par eux-mêmes le secret de transmuter le plomb en or, et les attendant au jour où, après mille expériences, ils n’auront rien obtenu en satisfaction de leur désir, et leur faisant dire alors par celui qui les initie au 9e degré, Magus : « La pierre philosophale, c’est moi qui la donne. En veux-tu quelques parcelles, homme avide ? Eh bien, invoque-moi ; forme dans ton cœur la conviction que je suis Dieu, et non seulement Dieu, mais encore le Dieu-Bon, et que le Dieu des chrétiens est le Dieu-Mauvais. Appelle-moi, en murmurant avec amour tous les noms des maudits, des réprouvés. Bénis Caïn ; exalte le Samaritain Simon ; vénère même l’Iscariote. Recherche quel sacrilège pourra m’être le plus agréable, afin que