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avait, comme elle a encore, se dégageant de sa physionomie bonne et franche, un air d’honnêteté, de pureté exquise ; aimable, distinguée, elle est le contraste frappant de nos Anglaises modernes, presque toutes affrontées ou hypocrites, suant le mensonge et la perversité.

Après les horreurs dont je venais d’être le témoin à Pondichéry, la vue de cette pure jeune fille me fit soudain revivre. Il me sembla que Dieu l’avait conduite sur ce paquebot, pour me bien rappeler que, même en ces contrées diaboliques, la vertu n’a point totalement disparu, qu’elle brille au sein de ces affreuses populations, comme une de ces scintillantes étoiles dont le vif éclat, au milieu d’un orage, perce tout à coup le firmament surchargé de vapeurs lourdes, épaisses et noires.

Je me sentais instinctivement attiré vers miss Mary et sa mère ; aussi, il nous arriva de causer longuement, pendant la traversée de deux jours, entre Madras et Calcutta.

Je compris que mistress D*** était loin d’avoir trouvé le bonheur dans le mariage ; la seule joie pour elle était cette ravissante petite Mary, qui la consolait de tous ses ennuis, de tous ses chagrins.

Mistress D*** était la fille d’un important bijoutier de Madras, qui vivait encore, lui aussi, à cette époque, âgé d’environ soixante-dix ans, et dirigeant son commerce, aidé par l’un de ses fils. D*** avait alors une grosse affaire de diamants avec les Grumberg frères, qui ont maison à Singapore et à Calcutta ; il avait envoyé sa femme pour traiter ; mistress Annie, au lieu de se rendre à Calcutta directement par la ligne anglaise, avait eu des raisons, que j’ignore, pour passer d’abord à Ceylan, et ainsi elle avait pris, à Pointe-de-Galle, la ligne française d’embranchement de nos Messageries Maritimes ; s’arrêtant bon nombre de jours à Madras, elle avait revu sa famille et consulté son père et son frère sur l’affaire qu’elle négociait. Inutile d’ajouter combien le vieux bijoutier avait été heureux de posséder quelque temps chez lui sa petite-fille bien-aimée, dont mistress D*** s’était fait accompagner pour ce voyage.

Moi, il faut le dire, je connaissais déjà, mais peu favorablement, le planteur D***, qui vient parfois en Europe par le courrier de Chine ; je l’avais eu à bord ; c’est précisément le fait qu’il était connu de moi, qui me servit de motif à entrée en conversation auprès de mistress D*** et de miss Mary.

Je ne pouvais m’empêcher de comparer mentalement le mari a sa femme, le père à sa fille. D*** est un gros homme, fort, trapu, au cou renflé ; solennel, mais avec une expression de cruauté froide sur le visage ; d’une dentition inexprimable et véritablement stupéfiante ; puant le vice, la bestialité et la rouerie ; en un mot, un type dont l’allure, la carrure exprime bien le descendant de quelque ancien convict ; l’atavisme