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d’une façon en tout prodigieuse. Je n’ai, monseigneur, rien vu en toute cette affaire qui m’ait donné tant d’étonnement que l’accident arrivé à ce bon religieux, lequel en tire de grands profits et avantages pour le bien de son âme. »

Les capucins ne suffisant plus à la besogne, « le roi, ayant fort à cœur cette affaire, résolut, avec le cardinal de Richelieu, de la mettre entre les mains des jésuites. Ils en écrivirent au provincial de la province de Guyenne, et lui donnèrent ordre d’envoyer au plus tôt quelques religieux pour exorciser les religieuses de Loudun. »

L’un de ces religieux[1] était le père Surin, alors âgé de trente-cinq ans ; il partit pour Loudun le 17 décembre 1634.

« Ayant écouté l’ordre de mon supérieur, dit-il, je ne répliquai rien, quoique cet emploi me parût surpasser de beaucoup mes forces. Mais, comme il faisait déjà nuit, il fut conclu que j’attendrais pour partir au lendemain matin. Dieu fit connaître à une sainte fille, que je conduisais dans les voies du saint, l’ordre que j’avais reçu et les maux extrêmes que je souffrirais dans cet emploi. Elle vint me trouver pour me le dire, et m’avertit qu’elle avait vu sur moi une main divine pour me protéger. »

Il est utile de laisser maintenant la parole au père Surin, dont je résume le crédit détaillé, sans altérer en rien le texte même de ses écrits.

« Je ne fus pas plutôt arrivé à Loudun, qu’on me donna commission d’examiner la mère-prieure. Je pouvais présumer que, parce qu’elle était la première en dignité, elle avait aussi les démons des premiers rangs, c’est-à-dire des Chérubins et des Séraphins. Mais la force de ces grands ennemis ne me donna aucune crainte du combat, ne croyant pas que tout l’enfer pût prévaloir sur l’obéissance, qui seule m’engageait sur ce champ de bataille, où j’avais à combattre quatre furieux démons, savoir : Léviathan, Béhémoth, Isacaron et Balam, que je voyais, par les lumières de la foi, faibles comme des mouches par rapport à la puissance de Dieu, dont je me voyais revêtu par la force de l’obéissance…

« Je n’eus pas plutôt commencé le premier exorcisme sur la mère-prieure, que je fus pleinement convaincu que les religieuses étaient possédées. Car, parlant à la mère du bien infini que l’âme goûte dans l’oraison et l’union avec Dieu, un démon ne manqua pas aussitôt de se présenter et de m’interrompre en me demandant pourquoi j’avais laissé à Marennes tant de bonnes âmes que je cultivais pour venir m’amuser avec des filles folles. Ensuite, il me dit plusieurs particularités secrètes de ces personnes de Marennes, dont la mère-prieure ne pouvait avoir aucune connaissance. C’est ce qui m’obligea de tirer de ma poche une

  1. Les autres étaient les pères Rousseau, Anginot et Bachellerie.