Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/84

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que j’avais vu à Pointe-de-Galle. Le grand-maître me mit à sa gauche, afin de mieux m’honorer en ma qualité de frère étranger, haut gradé, paraissant dans ce temple pour la première fois.

Pendant les préliminaires vulgaires de la cérémonie et le petit discours que le grand-maître prononça en ourdou-zaban, j’examinai le temple, parcourant des yeux tous les recoins. J’aperçus ainsi des niches pratiquées dans la muraille à une grande hauteur ; il y en avait trente-trois, onze à l’occident, onze au midi, onze au nord ; treize d’entre elles étaient occupées, non par une statue, mais par un être humain dans une posture incroyable et intenable.

L’un était debout, muré par derrière et sur les côtés, comme dans une fente, la partie antérieure seule libre, les pieds bâtis dans une espèce de ciment, les bras collés au corps, sans pouvoir remuer, ni se coucher, ni s’accroupir, ni porter ses mains à sa figure. Un autre était aussi muré, également dans une fente, mais horizontale, et perpétuellement couché sur le dos. Un troisième était bâti dans un bloc qui le maintenait accroupi. Un autre encore était assis dans une niche, les jambes attachées croisées une cuisse sur l’autre, et les bras croisés de même au dessus de la tête. Il y en avait en cercle, en S, la tête en bas, en croix, de toutes les manières, enfin, attachés contre la muraille, enfoncés ou bâtis dedans. Quel supplice horrible, pensai-je, pour ces gens qui sont cloués la depuis des mois, des années peut-être, cloués comme des chauves-souris au mur ou des ex-voto vivants !… En levant la tête, j’en vis trois encore suspendus par les bras au plafond ; aucun d’eux, d’ailleurs, ne se plaignait, ni ne tressaillait même ; ils tournaient lentement et alternativement dans un sens ou dans un autre, au gré de la corde qui les soutenait. Ce spectacle était réellement saisissant et monstrueux.

Un moment, le grand-maître, au cours de la cérémonie, fit allusion à ces victimes volontaires du fanatisme le plus inouï.

— Honneur et gloire, s’écria-t-il, à nos frères fakirs qui s’imposent ainsi des douleurs terrestres, douleurs ineffables, pour se rendre plus dignes de notre dieu !

S’adressant ensuite à moi, il m’expliqua alors que l’un était là depuis dix années, un autre depuis plus de vingt-cinq ans, et il ajoutait, croyant m’émerveiller davantage, que ces horreurs étaient générales dans l’Inde, que les femmes adonnées au culte du vrai Brahma, Lucif, se brûlaient à petit feu et membre par membre et à plusieurs mois d’intervalle, et que les hommes se muraient, se mutilaient ou se laissaient pourrir. À tous ces gens-là, on donnait chaque jour à manger et à boire à l’aide de perches, et juste la quantité voulue d’alimentation pour qu’ils ne mourussent pas de faim. Quant à leurs excréments, la puanteur du lieu