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Ce jour-là, je ne compris rien, bien entendu, à ce cantique du rite funéraire luciférien.

Après une invocation, le Sata traça devant le Baphomet, en l’air, un cercle, avec un charbon ardent qu’il prit à la main dans le brasier, pendant que la vieille tournait toujours. Les autres continuaient à psalmodier sur un mode mineur nasillard, et, à chaque reprise, la vieille, comme entraînée par une puissance invisible, tournait plus rapidement ; à chaque reprise aussi, le Sata et ses aides accumulaient les charbons autour de la prêtresse, dont la dernière heure allait être hâtée par ces fanatiques.

C’était un spectacle affreux.

Enfin, se raidissant, la Mâhmâh poussa un cri rauque, s’arrêta, la face tournée vers le Baphomet, hideuse, les yeux sortant de leurs orbites, horrible à voir ; j’avais fait le tour de l’assistance, pour mieux examiner. Alors, tous, reprenant leur cantique infernal en haussant le ton, et saisissant des fourches de fer que le Sata leur avait distribuées, poussèrent vers la vieille les tisons, les charbons enflammés, les bois résineux, resserrant le cercle de feu. Elle, était encore debout, mais immobile, au milieu du foyer incandescent ; ses quelques loques avaient disparu depuis longtemps, brûlées ; sa peau était devenue noire, sauf la tête qui était horriblement rouge, léchée par les flammes. Je ne pouvais m’expliquer comment elle se tenait droite ; ceci me paraissait prodigieux, fantastique. Je passai la main à mon front, où perlaient des gouttes d’une sueur froide ; je m’adossai au mur, pour ne point défaillir ; j’avais besoin d’air, j’avais surtout besoin que cette séance prit fin. Tout à coup, la Mâhmâh s’affaissa d’une seule pièce : ce fut un écroulement, un effondrement. Elle avait cessé de vivre. Les assistants interrompirent leur chant funèbre et poussèrent, sans transition, des cris de joie, en attisant le feu de la pointe de leurs fourches, en y jetant de plus belle de la résine et des charbons. En quelques instants, la calcination du cadavre fut complète ; il faisait dans la salle une chaleur d’enfer ; puis, bientôt, de la prêtresse, il ne resta plus rien. Elle était entièrement consumée ; et moi, qui ai vu fonctionner pas mal de fours crématoires, j’avoue que jamais je n’ai vu une incinération aussi rapide.

Le Sata s’avança vers le Baphomet et cria trois fois :

Inri !… Inri !… Inri !…

Une voix sourde, qui semblait sortir du brasier ardent, répondit ces quatre mots latins :

Igne Natura Renovatur Integra.

Phrase diabolique, qui parodie l’inscription de la croix de Jésus-Christ, et qui signifie : « La nature tout entière se renouvelle par le feu. »

Je me demandai si le Sata n’était pas ventriloque, si ce n’était pas lui