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se souleva lentement, se mit d’abord sur son séant au bord de sa couche de feuilles fanées ; puis, comme mue par un ressort qui se détendait brusquement, elle se trouva debout, les yeux grands ouverts.

Je reculai. On eût dit un spectre. La figure n’avait plus rien d’humain ; sur sa tête, les cheveux, gris, sales et courts, se dressaient. Alors, d’un geste automatique, elle tendit la main vers le fond de la salle, que je ne voyais pas. Le Sata suivit le geste ; il se leva, et tous l’imitèrent. En quelques secondes à peine, ils eurent allumé des morceaux de bois résineux, ainsi que des lampes que je n’avais pas encore aperçues, tous allant et venant sur la pointe des pieds. Il y avait en tout onze lampes au plafond, et chacune était à onze branches.

En un clin d’œil, la salle fut brillamment illuminée. Je constatai alors que le fond de la salle était occupé par un véritable autel, comme ceux de nos églises catholiques, mais dominé par une idole monstrueuse. Je reconnus le Baphomet, que Carbuccia m’avait décrit, et que je voyais pour la première fois.

Figurez-vous une espèce de bouc dont le naseau a de faux airs de l’espèce bovine ; la tête a deux énormes cornes, au milieu desquelles est planté un simulacre de flambeau, dont les flammes sont figurées par je ne sais quelle matière qui brille, rouge ; sur le front, est plaquée une étoile à cinq pointes, en métal argenté. Le haut du corps de l’idole est humain, nu, avec des seins de femme ; le bras droit est ployé, l’avant-bras en l’air, la main faisant le signe de l’ésotérisme, dans la direction d’un croissant de lune, blanc, peint sur la muraille ; le bras gauche est, au contraire, tendu en bas, la main faisant également le signe de l’ésotérisme, dans la direction d’un croissant de lune, noir. Le ventre est caché par une sorte de cuirasse d’écailles vertes, en demi-cercle ; au centre, s’élève une petite croix ayant une rose épanouie à l’intersection de ses bras. Les jambes, terminées par des pieds de bouc à découvert, sont drapées par une vaste étoffe d’un rouge vif. Enfin, l’idole a deux grandes ailes d’anges déployées, à plumes blanches et noires.

Telle est la représentation magique du dieu des occultistes, représentation universellement adoptée, et que j’ai retrouvée partout la même, sauf quelques variantes de peu d’importance, en Amérique comme aux Indes, à Paris et à Rome comme à Shang-Haï et à Montevideo.

De chaque côté de l’autel diabolique, il y avait un tableau, peint grossièrement, en couleurs criardes. À droite, un être humain planant dans l’espace, une grande flamme au front, et de la main droite versant de la semence sur le monde. À gauche, une abominable parodie de la mort du Christ : le divin crucifié est représenté expirant, tandis qu’un centurion romain le perce de sa lance, en le frappant, non au cœur, mais au nom-