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tuelle, piquent d’un carrelage de damier mouvant le rouge sanglant et immobile du sol argileux.

Puis, à un moment donné et comme à un signal, tout cela s’arrête, après un gigantesque remous, une ondulation, une vague vivante de plusieurs centaines de lieues d’étendue ; et une fantastique acclamation, poussée par ces millions de poitrines, couvre en ce moment les bruits de la terre et là-bas le sourd roulement des flots de l’Océan indien.

Un bonze, à la face grippée jaune, dans sa jaune tunique, vient d’apparaître en haut, émergeant d’un des pylônes des portiques, avec sa mythra sur la tête ; peu après, on l’aperçoit perché sur la ligne architecturale du faîte de la corniche, gros, dodu, en boule, immobile. Alors, tout le monde, le cou tendu, regarde et écoute, de loin comme de près, par continuité, aussi bien les plus rapprochés qui voient et entendent que ceux là-bas qui ne voient ni n’entendent, hors de portée de la vue et de la voix.

Le bonze ouvre les bras, et sa bouche clame essoufflée ; il scande ses phrases d’un geste de doigts agités, comme s’il jouait du fifre ; il expectore, en un hurlement de poussah, des préceptes bouddhiques qui varient suivant le temps et l’heure du jour. Puis aussitôt, il disparaît après l’acclamation, et le brouhaha recommence.

Déjà, dans l’énorme foule, des symptômes d’hystérie se manifestent, isolément d’abord, et de-ci de-là quelques forcenés préludent à la folie de plus tard.

En même temps qu’ils ont prié pendant quelques jours, les yeux obstinément fixés sur la flèche de la pagode, sans boire ni manger, l’obnubilation cérébrale, l’inhibition est survenue chez eux ; l’hystérie va commencer à se dérouler.

Les voici bientôt en état de catalepsie absolue, et toujours ils continuent à prier. Depuis trois semaines, maintenant, immobiles, debout dans la même attitude, sans un geste, sans une contraction musculaire, jour et nuit, sans un tressaillement ni un clignement des paupières de leurs yeux tout grands ouverts.

Isolés, lorsque la foule entière est accroupie sur les talons pendant le jour, et lorsque tout le monde dort étendu dans la nuit, leurs silhouettes se détachent en longues enfilades, comme des cariatides minuscules, comme des piquets, jalonnant l’immensité de la plaine.

Un mois presque s’est écoulé, et ils n’ont ni bu ni mangé, ni dormi, ni veillé ; ils sont restés ainsi en catalepsie, les pieds rivés au sol, rigides, cloués. Au fur et à mesure que l’époque de la fête approche, au jour le jour aussi, le nombre augmente sans cesse de ces catalepsiés. Enfin, ils