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nous. Le Sata gloussa une onomatopée gutturale ; à ce son, brusquement réveillés, chauve-souris et cobra se sauvèrent, le vampire rasant le sol, tandis que le singe me regarda bien en face, ouvrit la bouche en grimaçant, et prononça très distinctement ces deux mots :

Salam, sab (bonjour, seigneur).

Je le regardai un instant, stupéfait. Était-ce bien une bête qui parlait ainsi ? Était-ce un homme ressemblant à une bête ?… En tout cas, la surprise était vive. Cet incident inattendu me produisit un drôle d’effet. Je sentis une sueur froide perler à mes tempes ; mon cœur battait ; un seconde, je vis trouble. Le singe disparut.

— As pas peur, fit la voix du Sata, qui s’aperçut de ce moment d’émotion ; as pas peur.

Décidément, je m’étais engagé à la légère dans une étrange aventure ; et des histoires d’étrangleurs me passèrent par la tête… Cependant, cela me paraissait impossible. En réfléchissant, je me disais que jamais il n’était rien arrivé à aucun étranger, voyageant sous le seul guide d’Indiens à Ceylan ; jamais je n’avais entendu dire que quelqu’un eût disparu, ou eût été assassiné. Il me semblait inadmissible que le domestique de l’hôtel et cette tribu fussent de connivence pour m’attirer dans un guet-apens ; c’était, pour eux, risquer leur tête. Aussi, cette émotion fut-elle vite dissipée. Restait une autre appréhension : en ce pays du diable, savait-on jamais ce qui pouvait survenir ? J’avais hésité à aller dans une réunion cabaliste, et je me trouvais à la merci d’une bande de lucifériens à demi-sauvages !… Vrai, ce singe parlant (j’avais l’idée que c’était un singe) ne me disait rien qui vaille.

Mais, d’autre part, il n’y avait pas à tergiverser. Le Sata avait déplacé la porte, et la vue de l’intérieur de la cahute me fit comprendre que ce n’était point là l’habitation elle-même : cette hutte recouvrait l’ouverture d’un trou en forme de puits. Et le Sata me faisait signe de l’y suivre.

— Un instant ! lui dis-je.

Il s’arrêta, surpris.

— Quisqui c’est ça ? fit-il.

— Il y a, répondis-je, que je veux savoir où je vais.

— N’a pas loin, répliqua-t-il, n’a pas loin ; là, la, sous.

Et il frappait du pied la terre, continuant :

— Il y en a, grand chambre morts… Toi voir si Mâhmâh malade crever.

Je vis bien, à l’air dont il me disait cela, que rien n’était plus simple selon lui, et que, d’après toutes probabilités, ils avaient, lui et ses compagnons, déposé le corps de leur mère, — je pensais que c’était leur mère,