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biles au bord des mares immenses, ouvrent lentement leurs gueules en des gouffres béants d’où ne sort aucun son.

Le désert et le silence !… Il y a là quelque chose qui vous saisit et vous fait frissonner comme de froid, sous le chaud soleil ; et de cet ensemble on reste impressionné vivement.

Nous n’avions pas encore échangé un mot avec le Sata, et la voiture roulait toujours.

Tout à coup, elle fit un brusque crochet, quittant la route et s’engageant en plein dans la broussaille. Alors, ce ne fut plus de la poussière, mais des débris de feuilles et de branches cassées qui fouettèrent vitres et portières, avec un bruit de grésil, tandis que, alternativement, on voyait sauter, apparaître, puis disparaître dans le feuillage les six autres de la tribu, qui nous suivaient sans se lasser.

Un gros cahot, et nous nous enfonçâmes dans l’eau jusqu’à l’essieu ; on franchissait un gué de rivière à fond mou et vaseux : de l’autre côté, derrière un fourré épais, nous débouchâmes dans une clairière gazonnée, au centre de laquelle une hutte s’élevait.

La voiture s’arrêta. Nous avions roulé deux heures entières, tout le temps grand train. Où pouvions-nous bien être ? Je n’en savais absolument rien. Évidemment, en pleine forêt, en un endroit où nul être humain ne pénétrait, sauf la tribu qui y avait établi sa résidence.

Nous descendîmes, tandis que non loin s’entendaient encore, précipités, les pas des six, qui nous serraient d’assez près et arrivèrent tout aussitôt. Chose extraordinaire, ils avaient couru pendant deux heures à grande vitesse, mais sans sauter, c’est-à-dire en allongeant leurs jambes comme d’immenses compas, et je vis qu’aucun d’eux ne suait et n’était même essoufflé. Je remarquai qu’ils avaient tous entre leurs lèvres le lingam, amulette obscène que l’individu porte en général au bras gauche.

Je me demandais, en regardant la hutte sordide qui était là, comment si exiguë elle pouvait servir d’asile à sept personnes, huit même, et peut-être davantage ; car je supposais que c’était aussi la demeure de la vieille moribonde que l’on m’emmenait visiter.

— Il y en a entrer là, me dit alors le Sata, en me faisant comprendre d’un geste que la porte était de l’autre côté.

Nous fîmes le tour, et je me trouvai devant une porte vermoulue, appliquée contre une ouverture ; c’était l’entrée de la cahute. Sur le seuil, gravement assis, se tenait un singe, à côté duquel pendait, par son croc d’aile, à un rebord de bois, la tête en bas, une chauve-souris, de l’espèce vampire, et au-dessous un cobra, roulé, dormait.

— Trois sales bestioles ! pensai-je.

Au même instant, un chat noir, la queue cassée et tordue, était devant