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— Loin, reprit-il.

Je haussai les épaules, lui montrant que cela m’était égal.

— Argent n’a pas, continua-t-il.

Je haussai encore une fois les épaules.

Atcha, botatcha, Sab, Sab, Sab ! s’écria-t-il alors. Ce qui veut dire : Merci bien, merci très bien, seigneur, seigneur, seigneur.

Et à ce cri, toute la tribu, arrêtée sur le chemin, à quelques mètres de nous, vint à moi, m’entourant, s’inclinant, la main sur la tête, et restant là sans bouger, en répétant :

— Atcha, botatcha, Sab, Sab, Sab !

Un peu agacé de ces démonstrations exagérées, mais qui n’avaient cependant rien d’étonnant dans ce pays où le simple salut frise l’adoration, je leur dis brièvement :

— Assez !… Marchons !…

Le Sata donna alors, des lèvres, un coup de sifflet strident.

Ticka-garri, ajouta-t-il.

C’est le nom des voitures indiennes.

Aussitôt, une voiture, que je n’avais pas aperçue, ni entendue encore, sortit, ma foi, je ne sais d’où, probablement du coin de la route où elle devait être arrêtée, à les attendre, et s’avança vers nous.

Le Sata m’invita d’un signe à y monter. Il grimpa après moi et s’assit à mon côté. Sans un mot de plus, le cocher fila à fond de train, soulevant autour de la voiture un tourbillon de cette poussière rouge dont le sol est entièrement fait a Ceylan, et à travers les nuages de laquelle on distinguait par intervalles les six autres Indiens de la tribu, y compris la femme, suivant au pas de course accéléré, sans s’arrêter ni souiller.

Nous primes la route de Wakouellah ; c’est une sorte de bungalow ou hôtellerie indienne, perchée au sommet d’une montagne et bien connue des voyageurs. La promenade de Wakouellah est classique à Galle.

La route qui y conduit passe à travers une forêt inextricable et touffue, dont les arbres à la tige élancée s’épanouissent au faite en éventail, comme les bananiers, les cocotiers, les aréquiers. Sur tout le chemin, le désert ; pas une vie humaine, pas une habitation ; dans le grand silence du soleil chaud, troublé seulement par le bruit du passage de la voiture, on entend de ci, de là, des froufrous sous la feuillée, produits par des serpents qui glissent effarés, des lézards énormes qui fuient apeurés, des oiseaux de nuit qui s’envolent au hasard à tire-d’aile, se butent en aveugles contre mille obstacles, ou des singes qui sautent épouvantés ; ces derniers, en se sauvant, grimacent, mais restent silencieux sous l’impression de leur effroi, tandis que de gigantesques crocodiles, immo-