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et qui a beaucoup d’initiative en matière d’expériences, résolut de tenter quelque chose d’inédit.

C’était un samedi, jour consacré à Moloch. Il ne prévint personne et se contenta de dire en lui-même sept fois le nom de l’Ante-Christ, qui est : Apollonius Zabah. Il récita ensuite, toujours dans son for intérieur, l’invocation à Moloch, en s’excusant humblement vis-à-vis de cet esprit du feu, de ne pas l’appeler avec tous les accessoires habituels, mais en le priant néanmoins d’apparaître à l’assistance et de ne faire aucune victime.

Personne ne se doutait de la manœuvre à laquelle se livrait Sandeman. Tout à coup, la table qu’on venait de faire tourner au commandement, sans la toucher, bondit au plafond, retomba sur le parquet, et là, subitement, se métamorphosa en hideux crocodile, — ailé.

Ce fut une panique générale, ou, pour mieux dire, tout le monde, sauf Sandeman, était pétrifié, cloué sur place. Mais la surprise fut au comble, quand on vit le crocodile se diriger vers le piano, l’ouvrir, et y jouer une mélodie, aux notes des plus étranges.

Et tandis qu’il pianotait, le crocodile ailé tournait vers la maîtresse de la maison des regards expressifs, qui, on le pense bien, mettaient celle-ci fort mal à l’aise.

Cependant, Moloch n’était pas dans un de ses jours de cruauté.

Le crocodile, enfin, disparut brusquement. La table était, ainsi qu’auparavant, au milieu du salon, mais chargée de bouteilles de gin, wisky, pale-ale et autres boissons offertes aux invités ; seulement, toutes les bouteilles avaient été vidées comme par enchantement et sans avoir été débouchées. L’assistance ne réclama pas, heureuse d’en être quitte à si bon compte.

Enfin, et pour en finir avec cette série de Vocates Procédants, je vais raconter ce qui m’a été dit, il y a quelques mois à peine, par un chanoine du diocèse de Paris, prêtre des plus éminents, dont les livres et la parole font autorité. On me permettra de taire son nom. M. le chanoine X*** est, en outre, un savant de premier ordre ; j’ai pu m’en assurer dans une conversation, de toute une après-dîner presque, qu’il a bien voulu avoir avec moi. Toutes les questions de science les plus arides et les plus élevées lui sont familières ; il connaît à fond le cerveau ; la moelle et toutes les manifestations nerveuses si étranges qui surprennent, à notre époque, l’homme qui les étudie, il les a observées, étudiées ex-professo.

Eh bien, lorsqu’un tel homme parle, armé du double flambeau de la religion, dont il est ministre, et de la science, dont il est l’adepte, il n’y a plus qu’à s’incliner.