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Nous fûmes alors obligés de nous lever, et, comme brusquement le médium se livra à la manœuvre inverse, ce fut un balancé de guéridon qui faillit nous faire basculer tous les trois. À cause des roulettes, très mobiles sur le parquet de bois ciré, lui-même très glissant, la table dépassait le but, et il devenait difficile de bien calculer le mouvement et de le maintenir dans des limites.

— Bigre ! fis-je pour avoir l’air de ne pas rester indifférent.

— Ce n’est pas moi, se hâta de dire le médium : jamais je n’ai vu que très exceptionnellement des manifestations aussi vigoureuses ; aussi, celles que nous venons de ressentir sont tout entières du fait de monsieur (il désignait le Sundström)… Voyez plutôt.

Celui-ci était, en effet, méconnaissable : rouge d’abord comme une écrevisse à force de concentrer, il était maintenant devenu d’une pâleur de cadavre ; ses yeux brillaient étrangement dans la demi-obscurité, et maintenant tout son corps était agité d’un mouvement fibrillaire des plus curieux, un frémissement et des contractions superficielles de peau et de muscles, ainsi qu’un cheval qui chasse ses mouches, comme une grande horripilation, avec claquement de dents. Il s’était évidemment hypnotisé à force de regard, d’idée fixe, de contention intellectuelle ; et absolument inconscient, devenu mentalement esprit agissant, il agissait corporellement sans s’en rendre compte.

Incapable de se maîtriser, les bras en état de rigidité cataleptique partielle, il poussait automatiquement et tout d’une pièce le guéridon que le médium et moi nous suivions docilement. Ce fut une série de zigzags incohérents d’allées, de venues à travers l’espace circulaire, sans intérêt, et qui menaçait de s’éterniser si le médium n’y avait mis un terme. À son tour, il se mit à pousser, et, ma foi, moi aussi ; cela m’amusait de plus en plus ; avec le guéridon, nous bousculâmes Sundström, lui donnant de forts coups de tranche sur le ventre, l’acculant enfin dans un coin où nous le serrâmes à le faire crier.

Cette poursuite et ce malmenage divertissaient fort la galerie ; on regardait avec étonnement cette table, qui semblait saisie d’animosité à l’égard de Sundström, tournait autour de lui, sur lui, le heurtant rudement et sans qu’il s’en défendît.

En définitive, une fois acculé, nous le cognâmes et le pressâmes de telle sorte, que tout à coup il poussa un grand cri, revint à lui, et s’évanouit finalement, s’affalant de tout son long sur le sol, dans une énorme prostration de tout son être. Ses nerfs violemment surexcités se détendaient en une crise hystéro-épileptique bien nette et bien accusée, quoique instantanée et rapide.

On l’emporta dans un des cabinets, voisin de celui où reposait le