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— Vous ?

— Oui, moi ; j’ai obtenu de subir la peine à Gibraltar, où beaucoup d’autres condamnés comme moi sont internés… Nous jouissons d’une liberté relative ; mais nous ne pouvons sortir de ce territoire anglais, et nous sommes sous la haute surveillance…

— Je ne comprends pas ce que votre condamnation vient faire à propos de… de l’accident de votre frère, ni pourquoi les galères à perpétuité…

— C’est vrai ; j’oubliais de vous expliquer qu’au moment même où mon frère Toby venait de trouver les métaux dans ce tiroir, le propriétaire du meuble était survenu, et que mon frère, n’ayant pu se mettre d’accord avec lui, l’avait un peu bousculé…

— Ah !

— Oui, une plaie au cou… cinq ou six centimètres tout au plus… là, sur le côté… Il paraît qu’il y a là une malheureuse artère, comme disent les médecins que le Dieu-Bon confonde !… la carotide… Bref, le propriétaire du meuble est, paraît-il, mort de saisissement… ou de colère… C’est un détail que je ne me rappelle plus au juste ; l’histoire est déjà si vieille !… Alors, moi qui avais déjà eu quelques petits malheurs… oh ! des riens… tandis que Toby édifiait déjà tous ceux qui le connaissaient… eh bien, j’ai pris sa mésaventure à mon propre compte… Entre frères, surtout entre frères jumeaux, on se doit bien cela, n’est-ce pas ?… Je me suis dévoué, quoi !… Et voilà la raison pour laquelle j’ai été condamné à sa place… Un révérend ? pensez donc, il ne fallait pas qu’un membre si vénéré de notre famille… de notre famille qui a toujours été honorable… fût exposé à subir une peine infamante… Non, cela ne se pouvait pas… Aussi, Toby m’a-t-il fait adoucir ma captivité autant que possible : sauf le désagrément de ne pas pouvoir quitter le territoire, je ne m’ennuie pas trop ici ; je m’occupe comme je veux, et mon frère me sert une petite rente, qui me permet d’apporter quelques adoucissements à mon triste sort… Ah ! l’on aura beau faire et beau dire, la famille, il n’y a que ça !…

Et mon homme roulait des yeux blancs, en prononçant ces paroles.

J’avoue que je ne compris pas grand’chose à cette histoire ; elle me sembla, d’abord, un conte imaginé par Joë pour se disculper, les coupables ayant presque toujours la manie de transformer plus ou moins ingénieusement leur affaire, afin de se poser en innocents. Ensuite, je me dis que le révérend Toby Crocksonn était bien capable, ma foi, d’avoir fait le coup, et que l’autre déjà compromis — qui sait à quel point ! — était peut-être assez roué pour avoir endossé réellement la responsabilité du crime ; il avait dû, sans doute, avoir quelque accident