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les efforts de l’enfer, c’est à soustraire le plus possible d’âmes au ciel. Voici un athée : le diable n’a aucun intérêt à lui apparaître ; il est sûr d’avoir son âme, puisque cet homme s’obstine dans son incrédulité ; lui apparaître, ce serait l’obliger à constater le surnaturel, et cet homme, qui était peut-être sincère dans son manque de foi, irait certainement à Dieu, en réfléchissant à l’éternité, à l’immortalité de l’âme. Voici, au contraire, un croyant, un bon chrétien : Satan n’a aucun intérêt, non plus, à se manifester visiblement à lui ; il est trop intelligent pour commettre cet impair ; le chrétien croyant le repousserait avec horreur et n’en aimerait Dieu que plus ardemment, avec plus de foi, se gardant plus vivement que jamais des souillures du péché. » Ainsi raisonnent bien des personnes n’appartenant pas à la catégorie des incrédules. Eh bien, ce raisonnement est aussi faux que les négations des sceptiques sont téméraires et vaines.

D’abord, il faut répondre à ces personnes qu’elles sont en contradiction avec les enseignements mêmes de la religion. Dieu laisse aux démons certain pouvoir, dont les limites ont été définies par les conciles : ainsi, il ne leur est pas permis de répondre aux appels d’un homme évoquant un mort et d’ouvrir à celui-ci, pour qu’il apparaisse, les portes de l’enfer ; ce qui revient à dire qu’un trépassé, même damné, ne se montrera pas au spirite qui l’évoque ; encore moins, bien entendu, un trépassé qui, par ses mérites, a son âme reçue au séjour des bienheureux ; mais les démons peuvent, et c’est ainsi qu’ils agissent, dit l’Église, se substituer au mort, dont l’apparition est demandée par des invocations coupables, de tout temps condamnées par la religion ; le spirite luciférien obtiendra donc parfois peut-être un résultat, mais il sera la dupe de l’esprit malin.

Ensuite, il est admis par l’Église que les anges déchus se manifestent aux humains, en dehors même de tout appel. Les théologiens hagiographes citent, à profusion, des cas d’apparitions diaboliques, auxquelles des saints ont été en butte, apparitions que ces saints ont réussi à repousser et vaincre. En ce xixe siècle, le R. P. Jeandel, supérieur général des Dominicains, a vu Satan face à face, dans une société irréligieuse où il avait eu le courage de se rendre ; ce vénérable religieux l’a affirmé, son récit très circonstancié existe et a été souvent reproduit ; un catholique, sincèrement croyant, oserait-il taxer de mensonge un témoin aussi autorisé ? L’abbé Vianney, le bienheureux curé d’Ars, mort en 1859, dont il suffit de citer le nom, était quotidiennement assailli par le prince des ténèbres, contre lequel il avait à soutenir de véritables combats, non spirituels, mais bien matériels.

Qu’un sceptique hausse les épaules à la lecture du récit du R. P. Jean-