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Puis, l’enfant grandit. Au sortir de l’institut technique, il fut agréé dans une importante fabrique d’étoffes de soie de Caserte. Une fois, à l’époque où Gaëtano était devenu grand garçon, on causa devant lui de l’homme, dont il savait le crime ; Gaëtano avait vingt-cinq ans ; l’assassin du val de Gargano était un des chefs carbonari, qui combattaient le gouvernement bourbonien ; il joua un rôle public dans l’insurrection de 1860 ; il excite les Napolitains à accueillir les Piémontais comme des libérateurs.

Carbuccia, lui, ne s’occupait pas de politique ; il lui était tout à fait indifférent d’avoir pour roi le fils de Ferdinand ou Victor Emmanuel ; il ne vota ni pour ni contre l’annexion des Deux-Siciles au royaume d’Italie. Mais de la mystérieuse et tragique aventure dont il avait été témoin à dix ans, il conserva toujours l’idée que les carbonari assassinaient ceux d’entre eux qu’ils jugeaient avoir faibli ou avoir perdu leurs sentiments de sectaires. Pour rien au monde, il ne se serait fait recevoir carbonaro. Le lecteur sait quelles furent ses hésitations avant de consentir à entrer dans la franc-maçonnerie ; et pourtant, dans son esprit, il considérait les deux sociétés comme distinctes. Il lui fallut son admission à un degré de la maçonnerie cabalistique, pour lui apprendre que les carbonari étaient une simple variété des francs-maçons. Il fut tout étonné, quand il aborda les réunions théurgistes du Palladium, de voir les aréopages occultes ouvrir grandes leurs portes aux carbonari et à des membres d’autres sociétés du même genre. C’est ainsi seulement qu’il sut, en le constatant, que toutes ces associations ayant pour but soit la pratique secrète d’une religion démoniaque, soit des œuvres de spiritisme sortant des banalités des médiums de salon, soit la conspiration politique, communiquaient les unes avec les autres par leurs membres pourvus de hauts grades. Il suffit, en effet, et j’en ai fait moi-même l’expérience, d’être, par exemple, même à titre honoraire, Chevalier du Lessingbund d’Allemagne ou Hiérarque (chef sacré) dans la Masonic Veteran Association d’Amérique, pour pénétrer partout, au sein de n’importe quelle société régulièrement constituée et fonctionnant d’une façon permanente ; ainsi, un chef nihiliste russe, voyageant au Canada, sera reçu, sans la moindre difficulté, chez les Old-Fellows, dont le chancelier du Conseil Suprême lui délivrera avec empressement un « Bref de Bon-Accueil » ; un Ré-Théurgiste Optimate, pourvu du grade de Mage Élu, et ayant sa patente visée par le Sérénissime Grand Collège des Maçons Émérites siégeant à Charleston, sera accueilli fraternellement, et qui plus est, avec déférence, même chez les Fakirs de l’Inde, et, en Chine, chez les hauts affiliés de la San-Ho-Hoeï.

C’est pourquoi, Carbuccia, qui, dans diverses assemblées occultistes, avait eu plusieurs fois l’occasion de frayer avec des carbonari, reçus