Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/26

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce qui lui donnait à présumer que sa vie pouvait être en péril n’était peut-être pas, au surplus, une vaine chimère. Il me raconta, en effet, une sanglante anecdote, qui mérite d’être rapportée ici.

Carbuccia est un Campanien pur sang. Il est originaire de Maddaloni, petite ville à proximité de Caserte, le chef-lieu de la Terre de Labour. Étant fils d’agriculteurs aisés, c’est au collège de Caserte qu’il a été élevé, ou, pour mieux dire, qu’il a parfait son éducation ; il a été un bon élève de l’institut technique. Il a fait sa première communion à Caserte-la-Vieille, dans l’antique église San-Michele, qui est un des plus intéressants spécimens de l’architecture normande du xiie siècle.

En sa prime jeunesse, à l’époque où il demeurait à Maddaloni chez ses parents, il aimait, comme tous les enfants, courir les bois, grimper aux arbres, prendre des nids. Il allait souvent au loin, à l’aventure, dans ce magnifique pays, si pittoresque, quitte à se faire gronder le soir par sa mère, que ses excursions rendaient inquiète.

Un jour, — c’était en 1845, il avait alors dix ans, — il s’était échappé de grand matin ; il avait couru, couru, laissant derrière lui l’aqueduc grandiose, tant célèbre, construit par Vanutelli, l’un des architectes de Saint-Pierre de Rome, aqueduc qui reçoit les eaux de nombreuses sources et les porte de Maddaloni à Caserte, au château de Ferdinand IV, le magnifique palais de plaisance des rois de Naples, palais le plus somptueux et le plus vaste de toute l’Italie. Le jeune Gaëtano, vagabondant à cœur joie, avait gagné, attiré par les charmes de la nature sauvage, la forêt profonde qui s’étend à perte de vue jusqu’au mont Vergine, lieu vénéré de pèlerinage ; il s’était engagé dans le défilé du val de Gargano, cette vallée classique ou se trouve le fameux et étroit passage des Fourches Caudines.

Gaëtano Carbuccia ne songeait certes pas alors aux Samnites ni aux Romains des temps anciens ; il faisait la chasse aux nichées d’oiseaux. Or, tandis qu’il était perché dans les hautes branches d’un frêne, il entendit venir, bruit qui troublait la solitude de la forêt, deux carrioles qui avaient quitté la route et s’étaient engagées à grand peine à travers les massifs d’arbustes, les roues broyant tout là où les chevaux pouvaient passer. L’endroit n’était pas un lieu de promenade, surtout en voiture ; aussi, l’enfant, se tenant coi, dissimulé par le feuillage, se demandait curieusement ce que venaient faire là ces étranges excursionnistes. Bientôt, les carrioles ne purent plus avancer ; les chevaux furent arrêtés ; six hommes en tout mirent pied à terre, marchèrent jusqu’à une clairière où l’œil de Gaëtano les distinguait parfaitement ; de son observatoire, il les voyait à merveille.

Un des hommes tenait à la main une paire d’épées. Il les donna à