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lumières de cette lampe, brillant comme de lointaines étoiles, jetaient sur la tête et le corps du fakir un faisceau étincelant qui l’auréolait tout entier et l’enveloppait d’un nimbe transparent, argenté. Tout le reste du temple était plongé dans l’obscurité, les flammes du sépulcre tremblotant dans le fond en langues bleuâtres, sans éclairer.

Alors, commença la réalisation du second prodige dont j’avais été prévenu.

Tandis que l’officiant continuait à psalmodier sur un ton bas, cadencé, légèrement nasillard, et qui tranchait étrangement avec le silence général, tandis qu’il s’interrompait parfois subitement, pour reprendre ensuite sur le rythme un-deux-trois, le fakir avait bougé, c’est-à-dire que ses bras, jusqu’alors croisés sur sa poitrine, s’étaient abaissés et pendaient le long du corps.

Le grand-maître cessa son incantation lugubre ; par intervalles seulement, il prononçait des paroles bizarres, des monosyllabes qui n’appartenaient à aucune langue, à aucun dialecte ; et, dès ce moment, le fakir se mit à tourner, d’abord lentement, sur lui-même. Un maître des cérémonies passa un encensoir à l’officiant ; celui-ci y versa de l’assa-fœtida et vint faire le tour de la table ronde, en encensant le fakir, dont les pieds maintenant, tant son tournoiement avait pris une allure vertigineuse, ne touchaient plus le sol de la plate-forme de granit ; il tournait en l’air, comme suspendu ; on entendait ronfler l’air qu’il emportait dans cette espèce de vol.

Je n’en pouvais croire mes yeux.

Encore une fois, le fakir s’arrêta net, et ce que je vis était à faire dresser les cheveux sur la tête. Placé avec le frère Hobbs sur la colonne du midi, à l’extrémité la plus rapprochée de l’Orient, j’avais vue à la fois sur la partie du sanctuaire où siégeait l’officiant, Walder et Cresponi, et sur la plate-forme de granit.

Le fakir était devenu d’une pâleur livide, cadavérique ; son visage avait un rictus épouvantable ; les yeux, convulsés, dont on ne voyait plus que le blanc, roulaient sous les paupières supérieures. La voix du grand maître s’était tue définitivement, et l’on n’entendait plus que le petit grésillement de la lampe à onze lumières, qui là-haut scintillait. Alors, tout à coup, les yeux de la tête de jeune homme qui était au centre du soleil d’or, ces yeux qui jusqu’alors avaient semblé en métal, ainsi que toute la figure en relief, ces yeux se transformèrent en deux émeraudes, éblouissantes d’une lueur verte, dont les rayons se projetèrent sur le visage du fakir, l’illuminant, puis descendant et remontant pour éclairer en vert le corps tout entier. Puis, la lueur des yeux de la figure métallique s’éteignit, mais le fakir en resta comme imprégné, fluorescent ; il brillait vert et