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Nous rentrâmes dans le temple ; le frère Hobbs me donna place auprès de lui. Tandis que le secrétaire lisait, en ourdou-zaban, un procès-verbal quelconque, mon voisin m’expliquait à demi-voix que ce n’était pas par accident, par suite d’une fausse manœuvre des musiciens charmeurs, que le messager avait été mordu par les reptiles. Les choses se passent toujours ainsi, afin que le visiteur, admis exceptionnellement aux mystères du palladisme indien, sache bien que sa vie a été réellement à la discrétion des chefs de l’assemblée théurgiste, afin qu’il ne s’imagine pas qu’il ne s’est passé qu’une comédie, avec des serpents apprivoisés et rendus inoffensifs par l’extraction des crocs à venin ou tout autre procédé de jongleurs. L’épreuve est donc atrocement sérieuse ; et, chaque fois que je me la rappelle, je ne puis m’empêcher de penser aux ridicules plaisanteries des loges françaises. À l’initiation du deuxième degré au rite d’Adoption, notamment, il y a un serpent qui joue un rôle dans un cabinet de verdure, serpent qui sert à effrayer la récipiendaire ; mais la récipiendaire a les yeux bandés et le serpent est en cuir bouilli, à ressorts. Chez les frères du Palladium, à Calcutta, on vient de le voir, le visiteur n’a aucun bandeau sur les yeux, et c’est à des cobras bien vivants qu’il est livré, sans autre défense qu’une musique de charmeurs, qu’un signe du grand-maître peut interrompre ; ce qui équivaudrait à un arrêt de mort.

Cependant, on apporta sur une espèce de civière, garnie d’étoffe de pourpre à franges d’or, le messager, qui paraissait aller mieux, mais qui geignait néanmoins, comme s’il souffrait encore beaucoup. Quatre Indiens le portaient ; ils le déposèrent à l’orient, devant l’autel.

Le grand-maître, — un riche filateur de soie, — prononça gravement ces mots, en anglais :

— Mes frères, demandons à notre Dieu tout-puissant le salut du messager dévoué qui s’est offert comme victime, pour aider à prouver que nos mystères sont vraiment inaccessibles aux cœurs timorés.

À l’autre extrémité de la salle, un officier de la loge répéta la phrase en ourdou-zaban.

Sur un signal du grand-maître, tous les assistants se mirent à genoux. Un maître des cérémonies ouvrit un gros livre, qui était déposé aux pieds du Baphomet, et qu’on appelle l’Atharvana-Véda, le plus ancien livre de théurgie indienne, contenant des formules de consécration, d’expiation, d’imprécation, etc. Le grand-maître y lut un appel à la protection de Brahma-Lucif. Puis, il prit un sifflet d’argent, pendu à l’extrémité de son cordon, et siffla sept fois très fortement.

Alors, la porte d’entrée s’ouvrit, et une jeune dévadase parut.

Les dévadasis sont en quelque sorte les vestales indiennes. Elles sont