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ladium Ré-Théurgiste Optimate ; en d’autres termes, Calcutta est un des principaux lieux de rendez-vous de tous les sectaires occultistes qui ont juré l’anéantissement du catholicisme, de tous les maçons des hauts grades, qui, par une initiation à eux réservée, connaissent le secret des secrets, savoir : que le grand architecte de l’univers n’est autre que Lucifer-Dieu.

Dans ce pays où règne extérieurement le protestantisme anglais, favorisant cet épanouissement de l’occultisme sataniste, les conquérants sont, d’autre part, tenus en échec par d’autres sociétés secrètes, celles-ci indiennes et patriotes, depuis les Thugs ou étrangleurs, qui existent toujours, jusqu’aux Brahmavanis, continuateurs de Tippoo et de Nana-Saëb, qui rêvent la revanche, la liberté, qui ont fait le serment d’affranchir de la domination étrangère le sol de leur patrie.

La société des Thugs a, depuis longtemps, sa réputation faite. On sait que les Indiens qui en font partie se vouent tout spécialement à la déesse Khali, et que, d’après leur théorie religieuse, plus on offre de victimes à cette déesse, plus on arrive facilement au ciel, à la condition toutefois que les sacrifices offerts soient non sanglants ; d’où le procédé du foulard ou de la corde, c’est-à-dire l’étranglement.

J’ai eu l’occasion de causer longuement avec un des chefs de cette secte redoutée, lequel fut mon passager, se rendant de Calcutta à Madras, où l’on avait annoncé une arrivée de caravane très nombreuse d’Européens et, en particulier, d’Anglais. Cet homme m’a vraiment étonné par son érudition, son calme, sa distinction.

Loin d’être des brigands, tuant pour voler, les Thugs sont, à leur manière, des patriotes, farouches, implacables, fanatiques ; en effet, ce sont surtout les étrangers qu’ils assassinent, et, d’après leur superstition, le meurtre d’un Anglais compte double auprès de Khali ; l’étranglement des envahisseurs du territoire sacré de l’Inde est leur façon de gagner des indulgences ; le Thug qui a étranglé cinq Anglaises enceintes est du coup sacré et se croit définitivement sauvé, destiné infailliblement au paradis de Brahma

Quelque temps après le voyage de ce chef thug dont je viens de parler, j’appris que toute la caravane anglaise nouvellement arrivée à Madras avait disparu. Le gouvernement local fit le silence sur cette affaire, et l’on répandit le bruit qu’elle s’était noyée dans un torrent, par l’imprudence des guides qui la conduisaient et qui avaient eux-mêmes péri. Le fait était vrai ; mais ce qu’on ne disait pas, ce que le lieutenant gouverneur cachait avec soin, c’était que Madras était le centre de la secte des Thugs-Noyeurs, une variété des étrangleurs, ainsi que mon terrible passager me l’avait expliqué.