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La jeune fille ne perdait pas un mot de mon argumentation, bien que je fusse peu éloquent prédicateur. Ce n’était pas, du reste, la première fois qu’elle étudiait en elle-même cette question.

À Madras, une de ses amies d’enfance, une Française catholique, lui avait chanté un jour un cantique à la Vierge, et elle en avait trouvé les paroles et la musique fort belles. Elle se l’était fait apprendre, ce cantique ; elle le savait. Et, tandis que tout le monde était sur le pont ou dans les cabines, elle se mit au piano du salon des premières.

— Je vais vous le jouer, me dit-elle.

— Et le chanter en même temps ? ajoutai-je.

Elle se défendit un peu. J’insistai.

— Si l’on m’entendait, reprit-elle, on croirait que je vais me convertir au catholicisme. Or, c’est uniquement au point de vue de l’art que ce cantique me plaît.

En disant cette dernière phrase, elle eut une rougeur qui empourpra ses fraîches joues veloutées ; il me sembla qu’elle se défendait mal et que le cantique à la Vierge lui plaisait a un autre point de vue que celui qu’elle indiquait. J’insistai donc de plus belle.

— Allons, Mary, fit sa mère, ne contrarie pas notre bon docteur.

De sa douce et limpide voix, au timbre argentin, mélodieuse et en même temps pénétrante, miss Mary, pendant que ses doigts agiles faisaient vibrer le piano, chanta alors, et avec tant d’expression et de sentiment que j’en fus remué, je l’avoue, jusqu’au fond de l’âme :

Je mets ma confiance,
Vierge, en votre secours ;
Servez-moi de défense,
Prenez soin de mes jours :
Et, quand ma dernière heure,
Viendra fixer mon sort,
Obtenez que je meure
De la plus sainte mort !

Je ne laissai rien paraître de mon émotion ; mais, tandis que miss Mary chantait, je ne pouvais m’empêcher de songer à l’horrible existence qui lui serait destinée, si sa mère, son seul appui en ce monde, venait tout à coup à lui manquer, et si elle se trouvait ainsi livrée à ce milieu hostile, composé d’un père brutal, indifférent, sans une parcelle d’amour pour elle, d’une tante qui m’avait paru, à moi, médecin, atrocement dépravée, et d’une sœur qui, je l’avais bien compris à quelques anecdotes à moi répétées, la haïssait profondément.

— Infortunée jeune fille ! me disais-je en moi-même ; c’est alors que ce