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liaison et de suite entre elles. Les formes de la syntaxe sont respectées ; les propositions sont régulièrement construites ; mais la pensée reste indéchiffrable sous ce mélange de mots qui se suivent sans éveiller une seule idée. Ces pages sont comme un rêve éveillé ou comme un jeu d’enfant dans lequel on s’amuserait à parler pendant un certain temps sans rien dire, associant des phrases sans y mettre aucun sens, frappant l’air de sons vains et vides, et s’ingéniant à ne pas penser. » M. Caro n’a rien compris, parce qu’il n’avait pas la clef, parce qu’il n’était pas théosophe, initié martiniste.

Louis Blanc, qui était franc-maçon, qui avait compris le secret des secrets, mais qui, cependant (il faut lui rendre cette justice), n’est pas déchu jusqu’à la pratique de l’occultisme, écrit à propos du livre de Saint-Martin, intitulé Des erreurs et de la vérité : « Par les sentiers de l’allégorie, le Philosophe Inconnu conduisait au sein du royaume mystérieux que, dans son état primitif, l’homme avait habité. »

Et aussi, le F∴ Findel, dans son Histoire de la Franc-Maçonnerie, dit encore, au sujet du même livre : « Il ne fut pas seulement révéré comme un évangile par quelques FF∴ isolés ; mais en Allemagne on le considéra comme une mine de vraie science maçonnique, et on le recommanda particulièrement aux FF∴ initiés Chevaliers d’Asie. Le F∴ Claudius le traduisit en allemand. »

Veut-on quelques échantillons des écrits mystiques de Saint-Martin ? Je vais donner de courts extraits de ce fameux livre : Des erreurs et de la vérité. Mon lecteur, qui a la clef, comprendra que le système du Philosophe Inconnu n’est autre qu’un satanisme spécial, un amalgame de manichéisme et de néo-platonisme.


« L’homme, écrit Saint-Martin, est à présent composé de deux êtres, l’un sensible, l’autre intelligent. Nous avons laissé entendre que, dès son origine, il n’était pas sujet à cet assemblage, et que, jouissant des prérogatives de l’être simple, il avait tout en lui et n’avait besoin de rien pour se soutenir, puisque tout était renfermé dans les dons précieux qu’il tenait de son principe. Dès son origine, l’homme avait donc pour loi de régner sur la région sensible, comme il le doit encore aujourd’hui ; mais, comme il était alors doué d’une force incomparable et qu’il n’avait aucune entrave, tous les obstacles disparaissaient devant lui. Aujourd’hui, il n’a plus, à beaucoup près, les mêmes forces. Lorsque l’arrêt foudroyant eût été prononcé contre lui, il ne lui resta, de tous les dons qu’il avait reçus, qu’une ombre de liberté, c’est-à-dire une volonté toujours sans force et sans empire. Tout autre pouvoir lui fût été, et sa réunion avec un être sensible le réduisit à n’être plus qu’un assemblage de deux causes inférieures en similitude de celles qui régissent tous les corps.

« Quels fruits l’homme pourrait-il donc produire aujourd’hui, si, dans l’impuissance que nous lui connaissons, il croyait n’avoir d’autre loi que sa propre volonté, et s’il entreprenait de marcher sans être guidé par cette cause active et intelligente dont il dépend malgré lui et de laquelle il doit tout attendre, ainsi que les êtres corporels parmi lesquels il est si tristement confondu ?…