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Mais Martinez Pasqualis, agissant en France comme Weishaupt en Allemagne, a été le promoteur de l’Illuminisme français, et c’est l’un de ses disciples, Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803), qui en a été le théoricien et le véritable organisateur ; et c’est lui qui a laissé son nom à la secte.

Saint-Martin, qu’on appelle communément « le Philosophe Inconnu », était officier au régiment de Foix, en garnison à Bordeaux, lorsqu’il fit la connaissance de Martinez Pasqualis dans les loges de cette ville ; c’était le duc de Choiseul, ami et protecteur de sa famille, qui l’avait fait initier de bonne heure à la maçonnerie ; Pasqualis alla plus loin et leva pour lui les derniers voiles.

Esprit exalté, Saint-Martin se lança à corps et âme perdus dans le mysticisme noir ; mais il avait, en outre, le goût très développé des relations mondaines. De fréquentation fort agréable, doué de qualités extérieures qui le faisaient rechercher, il séduisait les gens de la belle société, si superficiels au xviiie siècle, et tous ces grands seigneurs et ces grandes dames, qui, à cette époque dont Voltaire fut roi, oubliaient Dieu pour les plaisirs, s’arrachaient l’élégant officier, alors démissionnaire. Il était venu à Paris.

Cet homme était vraiment un instrument du démon. Par ses manières doucereuses, par sa politesse exquise, il s’insinuait, d’abord, comme le serpent, puis, par la flamme de son regard, rapportent ses contemporains, il fascinait ; toujours comme le serpent, ajouterai-je. Et il prêchait, dans les salons aristocratiques, une religion nouvelle ; habile au suprême degré, il restait mystérieux, ne glissait que quelques mots, excitait la curiosité, réveillait le sentiment de la dévotion envers Dieu chez les frivoles qui l’avaient laissé s’éteindre, mais c’était pour le fausser, pour le sophistiquer, pour diriger cette piété mystique, rejaillie à son coup de baguette, vers un idéal criminel, sacrilège, vers Satan déifié. Les femmes surtout tombaient dans son piège ; et, du reste, il est reconnu que c’est particulièrement chez les nobles désœuvrées qui ont oublié le chemin de l’Église, que le satanisme fait le plus de victimes.

Autour de Saint-Martin, gravitaient, vice-prêtresses de l’occultisme, les femmes de la plus haute aristocratie : la princesse de Lusignan, la marquise de Chabanais, la marquise de Lacroix, la maréchale de Noailles.

Dans ses livres, le Philosophe Inconnu est, comme les Éliphas Levi et tous les autres docteurs ès-cabale, incompréhensible pour les non-initiés. « Je prêche Satan », est une chose qui ne se peut imprimer en toutes lettres. Aussi ne faut-il pas s’étonner de ce que M. Caro, l’académicien, ait écrit ceci sur les ouvrages de Saint-Martin : « Il y a des pages, et en grand nombre, où nous n’avons pas compris un mot. Est-ce notre faute ? est-ce celle de l’écrivain ?… Dans ces pages étranges, une sorte de vertige vous prend. On entre dans un monde nouveau, où les mots n’ont plus de sens, ni les phrases de