Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 2.djvu/74

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle a ses raisons pour garder le silence. La philosophie (sans épithète) qui nie au hasard, c’est l’école de philosophes que tout le monde connaît sous ce nom, c’est Voltaire, c’est le scepticisme ; Éliphas Lévi, qui n’est pas sceptique, marque d’un simple mot satirique son blâme à l’adresse de l’école des philosophes voltairiens ; c’est « au hasard » qu’ils nient le diable, sans savoir, sans chercher, sans éprouver le besoin de se rendre compte du fait. La religion, dans ce passage de l’auteur, c’est celle dont le pape de Rome est le chef ; elle dit que le diable existe et n’est autre que l’ange déchu. La philosophie occulte, qu’il ne faut pas confondre avec l’école voltairienne, est, sous la plume d’Éliphas Lévi, un nouveau terme pour désigner la secte gnostique, les occultistes lucifériens. Ceux-ci acceptent la définition de l’Église romaine, mais ils l’expliquent à leur manière ; et l’écrivain adepte du néo-gnosticisme manichéen a soin de ne pas donner ici cette explication, Il re-voile son secret, qui est celui-ci : « Le cléricalisme dit vrai sur l’existence du diable, mais il renverse la vérité ; son dieu, c’est le Dieu-Mauvais, le réel diable, et non pas le Dieu-Bon, qui est notre dieu, à nous lucifériens. »

Maintenant, on va comprendre la suite ; car, sans ces quelques mots d’éclaircissement, on supposerait qu’Éliphas Lévi divague, ne sait lui-même ce qu’il veut dire, tandis qu’il est au contraire très net, mais seulement pour les initiés.

Je reprends.


« Nous ne reviendrons pas sur ce que nous en avons déjà dit ; mais nous ajouterons ici une révélation nouvelle :

« le diable, en magie noire, c’est le grand agent magique employé pour le mal par une volonté perverse.

« L’ancien serpent de la légende n’est autre que l’agent universel, c’est le feu éternel de la vie terrestre, c’est l’âme de la terre et le foyer vivant de l’enfer.

« Nous avons dit que la lumière astrale est le réceptacle des formes. Évoquées par la raison, ces formes se produisent avec harmonie ; évoquées par la folie, elles viennent désordonnées et monstrueuses. »


Voilà le blâme d’Éliphas Lévi à l’adresse des goètes. Lucifer paraît, quand il est évoqué par les sages de l’occultisme gnostique ; c’est lui, la lumière astrale[1], le grand agent magique ; et il paraît à ses fidèles, sous des formes harmonieuses. Mais qu’un pratiquant de la goétie, un fou selon l’opinion d’Éliphas Lévi, fasse appel au grand agent magique, en l’évoquant comme Satan, comme ange déchu, comme diable, ce n’est plus Lucifer qui

  1. Pour n’avoir aucun doute, on peut se reporter à une citation que j’ai faite plus haut d’un passage de la page 152 du même livre d’Éliphas Lévi. Le grand agent magique est appelé des noms les plus divers : Tétragramme, Inri, Od, Serpent, Âme de la Terre, Lucifer (Livraison 154, page 267).