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Avant d’entamer ce chapitre, je dois rappeler encore au lecteur que, sitôt que l’esprit d’un homme s’égare dans les ténèbres diaboliques, dans ces insanités déconcertantes de l’infernal occultisme, sa conception du surnaturel maudit auquel il recourt, prend les formes les plus diverses de l’extravagance. Aussi, ne devra-t-on pas s’étonner de voir, en géotie, les systèmes les plus fantaisistes, les plus absurdes, les plus fous, et, en outre, les plus en contradiction les uns avec les autres. Procéder à une enquête sur la goétie, c’est entrer dans une véritable tour de Babel ; à un seul point de vue, ces insensés sont semblables, c’est que leur culte s’adresse au fond à Satan, quel que soit le rôle que leur mysticisme déraillé lui attribue dans sa révolte contre Dieu.

Le satanisme, nous le savons, est loin d’être une primeur poussée et mûrie en ce dix-neuvième siècle ; cependant, jusqu’à nos temps, il se cachait, il était honteux et redoutait d’être soupçonné, sauf de rares exceptions. Aujourd’hui, le satanisme est à la mode. On le pare, il est vrai, de divers faux noms, étiquettes plus ou moins scientifiques ; mais, dans les salons, sur le boulevard, dans les conversations, on ne craint pas de dire qu’on est « pour Satan » ; c’est uniquement dans les écrits destinés à la publicité que la plupart des satanistes se défendent d’être tels, chaque groupe dénonçant le satanisme du groupe voisin et ne se déclarant soi-même que pratiquant d’un occultisme dont, en des explications toujours fort embrouillées, on affirme la parfaite innocence. En tout cas, hors les palladistes, les occultistes ne craignent plus de se faire personnellement connaître.

Nous allons donc jeter ensemble quelques coups d’œil rapides sur nos satanistes contemporains : swedenborgiens, martinistes, bouddhistes, rose-croix, gnostiques valentiniens. Après avoir vu ces premiers groupes et signalé spécialement les principaux pontifes du diable, nous passerons aux satanistes non organisés. Et, pour montrer le satanisme des uns et des autres, je m’appuierai surtout sur ce qu’ils ont imprimé.

Mais, d’abord, justifions ce que je viens d’écrire, qu’aujourd’hui le satanisme est à la mode, et montrons un des premiers essais mondains de la réhabilitation de Satan en ce siècle.

C’est dans le Journal des Débats, feuille modérée et académique, que je cueille quelques lignes très significatives ; je me hâte d’ajouter qu’elles ont pour auteur le F∴ Ernest Renan, le haineux blasphémateur, ennemi du Christ et renégat fameux, et dès lors il n’y a plus motif d’être surpris.


« De tous les êtres autrefois maudits, que la tolérance de notre siècle a relevés de leur anathème, Satan est, sans contredit, celui qui a le plus gagné au progrès des lumières et de l’universelle civilisation. Le moyen-âge, qui n’entendait rien à la tolérance, le fit à plaisir laid, méchant, torturé, et, pour