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Refrain.

Va sans remords, ouvre ton aile
  À l’union qui te sourit ;
Vas où l’amour libre t’appelle ;
  Ton cœur a parlé, obéis !
  Souviens-toi que le mariage
    A trop souvent
  Fait des victimes en ménage.
    Et maintenant
  Sus à l’autorité qui livre
    Tes plus beaux jours !
  Reste indépendante, sois libre
    De tes amours !


Ces déplorables vers, pauvres de rime et riches d’hiatus, montrent bien comment le peuple entend la morale, depuis qu’on lui a enlevé la croyance en Dieu ; la compagnonne Louise dit carrément ce qu’est la morale indépendante. Mais, malgré cela, malgré toutes les plus violentes exagérations, il n’y a pas à désespérer du peuple, qui, même dans les milieux anarchistes, est moins gangrené que notre bourgeoisie voltairienne ; c’est une conviction que je me suis faite en fréquentant ces exaltés du prolétariat. Ainsi, en lisant la poésie de Louise Quitrine, on se tromperait si l’on croyait que son auteur est une femme se donnant à tout venant ; c’est une adversaire de toute loi, rebelle au mariage, ne voulant l’union ni devant le prêtre ni même devant l’officier de l’état-civil, mais ce n’est nullement une vicieuse. Elle vit en ménage avec le compagnon Duprat et lui est d’une fidélité exemplaire. Les dévergondées, les filles perdues, les malheureuses qui roulent au ruisseau, ne se mêlent pas à la politique militante des ouvriers révoltés ; ce serait une grosse erreur de le croire. Aussi, tout n’est pas perdu ; que la foi revienne au peuple, et la société sera sauvée ; tout est là.

Les grands coupables, ce sont ces hommes instruits, savants comme Élisée Reclus, nés aux plus hauts degrés de l’échelle sociale, comme le prince Kropotkine, qui, poursuivant les plus détestables desseins, inspirés vraiment du démon, sèment l’ivraie à pleines mains dans l’âme du prolétariat. L’union libre, c’est Alfred Naquet qui l’a prônée dans ses écrits, c’est Reclus qui en a donné le solennel exemple, en faisant contracter à ses deux filles un concubinage hautement affiché (1882). Ce sont ces bourgeois diaboliques qui sont responsables de tout le bouleversement actuel des nations sociales parmi le peuple. Leurs disciples agissent et parlent contrairement à leur propre sentiment.

Je me suis assis maintes fois à la table d’un de ces ménages professant le plus pur anarchisme ; j’ai bien observé ce milieu. J’ai trouvé des êtres aigris, mais point mauvais au fond, à part quelques fanatiques qui sont des fous méchants, les lanceurs de bombes, les manieurs de poignard. L’homme,