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mais gens sur qui il ne faudrait pas compter pour lancer une bombe ; « ce sont, disait Ravachol, des pommadés qui tiennent beaucoup trop à leur peau ». Tels, le poète Laurent Tailhade, Paul Adam, Zo d’Axa (rédacteur de l’En-Dehors), Ernest Gegout (gendre de Mme  Gagneur, la romancière anticléricale), Saint-Pol-Roux surnommé le Magnifique, A.-F. Hérold (fils de l’ancien préfet de la Seine), et autres camarades mal débourgeoisés ; tels, encore, les grotesques, comme Marius Tournadre et Achille Le Roy, ceux-ci également ne comptent pas.

Par contre, ce n’est pas chez les compagnonnes que l’on rencontre des non-valeur. Quand une femme s’enrôle dans l’anarchie, elle y est bien. Les françaises, agressives, batailleuses ; les russes, méditatives, farouches même dans leur sourire. La Katcha, si Kropotkine lui disait de se faire sauter la cervelle, là, comme cela, sans aucune explication, en lui disant seulement : « Ton suicide est nécessaire à la cause », elle prendrait son mignon revolver, qu’elle porte toujours sur elle, et se tuerait sans hésitation.

Je viens d’écrire le nom de feue la compagnonne Labouret, une lyonnaise. Elle avait un mari, typographe, qui se contentait d’être socialiste à la mode de Karl Marx. Il arrivait parfois aux deux époux de se rencontrer dans un club de propagande ; alors, c’était entre eux une lutte oratoire qui amusait fort l’assistance ; au demeurant, ce ménage révolutionnaire vivait, pour le reste, en parfait accord.

J’ai cité aussi Louise Quitrine ; c’est encore une physionomie qui ne doit pas ici passer inaperçue. On a pu lire son nom dans les journaux à propos d’une grève des tailleurs ; mais mes lecteurs ignorent sans doute que Louise Quitrine, — Louise, tout court, disent les compagnons, — est une anarchiste à tous crins. Sans être jolie-jolie, elle n’a pas une figure désagréable, malgré le froncement continuel de ses sourcils ; ce sont surtout les yeux qui pétillent et éclairent le visage d’un feu singulier. C’est une solide gaillarde approchant de la quarantaine, florissante de santé. La compagnonne Quitrine fut d’abord collectiviste au quartier du Panthéon ; mais bientôt elle lâcha les collectivistes, les trouvant arriérés.

Elle est poète, a fait quantité de chansons, qui ont grand succès dans les banquets de dynamitards. Elle est notamment l’auteur de l’Hymne de l’amour libre, dont voici le premier couplet :


Toute loi est autoritaire
   Et sans pitié ;
Écrasons, pour nous en défaire,
   Le préjugé.
Seule, la nature s’impose ;
   On obéit !
Écoutons-la en toute chose,
   Femme ! elle dit :