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On ne m’en voudra pas d’avoir réuni en quelques pages les éléments de ce tableau ; car ce sont là des faits historiques que j’ai groupés, et certes ils ont leur éloquence !


Maintenant, il est juste de reconnaître qu’il y a, dans la marche et le développement de l’anarchie, des choses qui déroutent l’observateur. Ainsi, il est constant que les chefs du mouvement sont tous des francs-maçons. On se dit, on sent que la maçonnerie n’est pas étrangère à cette œuvre terrible de bouleversement social. Mais, tout à coup, un événement vous stupéfie. Crispi, qui est trente-troisième, et sans l’anneau, je vous prie de le croire, est l’ami intime, le complice depuis longues années d’Adriano Lemmi, aujourd’hui chef suprême de la secte.

Est-il possible de croire, dans ces conditions, que c’est la maçonnerie des hauts grades palladistes qui a chargé le pistolet de Paolo Lega, dirigé contre Crispi ? Non, n’est-ce pas ? Il est tout à fait inadmissible qu’Adriano ait songé une seconde à supprimer le compère Francesco, qui le sert si bien.

Alors ?…

Cependant, nous voyons, d’autre part, la haute-maçonnerie couver l’anarchisme, le faire éclore.

Voici un fait, authentique, indéniable, donnant ample matière à réflexions :

Dans les derniers jours de décembre 1893, Élisée Reclus, un des deux consuls du Comité Central directif des Frères Internationaux, se rend à Bruxelles pour faire des conférences anarchistes sous prétexte d’étude scientifique. Ces cours sont bientôt interdits par le gouvernement. Qu’arrive-t-il ? Le Grand Orient de Belgique les prend aussitôt sous son patronage, et, dès le 3 mars, les conférences d’Elisée Reclus ont lieu dans le magnifique local de la loge les Amis Philanthropes. Lisez les journaux de cette époque. Le Suprême Conseil belge avait distribué cinq cent cinquante cartes d’entrée, alors que la salle ne peut guère contenir que 250 à 300 personnes. À la porte du temple maçonnique, et par conséquent avec l’autorisation des officiers dignitaires de la loge, des anarchistes distribuaient leur journal l Libertaire. Dans la salle, les FF∴ Paul Janson, Émile Ferron, députés de Bruxelles, Edmond Picard, Hector Denis, toute la fine fleur du radicalisme maçonnique, prenaient place à l’orient. Le F∴ Élisée Reclus fit, pendant plusieurs jours, son cours anarchiste dit de « sociologie comparée », et, rapportent les journaux, dès la première conférence, il fut acclamé avec frénésie par toutes les notabilités de la franc-maçonnerie bruxelloise.

Ceci n’est rien encore. La maçonnerie ne s’est pas bornée à donner un passager asile au conférencier de l’anarchisme ; elle se préoccupe, en ce