Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 2.djvu/405

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

renoncer à exercer ses vengeances, malgré toute la haine qu’elle puisse avoir. La guerre publique à la franc-maçonnerie est la prophylaxie de l’ultionnisme. Aussi, pour citer l’exemple du dernier haut-maçon converti qui ne craint pas d’attaquer aussi vivement que possible la secte, il est certain que, si M. Margiotta venait à être assassiné demain, au détour d’une rue, à Londres où il s’est fixé, il serait impossible de faire croire au crime d’un voleur, même si la victime était dépouillée de son argent et de ses bijoux ; la main de la haute-maçonnerie apparaîtrait trop clairement dans un tel assassinat. Or, la secte n’a pas la sottise de se dénoncer criminelle, pour la seule satisfaction de faire taire un écrivain. Elle assassinera un homme d’État, un personnage politique gouvernant contre elle, parce qu’alors elle se sent en péril immédiat ; mais un journaliste, un auteur, non. La mort de William Morgan lui a fait trop grand tort pour qu’elle recommence ; pendant de nombreuses années, le fonctionnement des loges fut impossible aux États-Unis. C’est pourquoi M. Margiotta et quiconque est dans son cas peuvent dormir sur leurs deux oreilles ; par chaque livre anti-maçonnique qu’ils publient, ils se garantissent mieux que par toutes les précautions matérielles de sécurité.

C’est là ce-que je n’ai jamais pu faire comprendre à ce pauvre Carbuccia ; il est vrai qu’il faut tenir compte des tempéraments.

— Rédigez vos mémoires, lui écrivais-je en 1892 ; réunissez vos souvenirs et vos notes ; publiez, vous aussi, un ouvrage de révélations, comme je vais le faire. Je vous certifie que, dès lors, personne ne se risquera à attenter à votre vie.

Il me répondit :

« X***, 18 août 1892.
« Mon cher docteur,

« … J’ai suivi vos bons conseils en ce qui regarde la question religieuse. Je n’ai trouvé la paix de mon âme tant troublée qu’aux pieds d’un prêtre à qui j’ai renouvelé en confession les aveux que je vous ai faits, et bien d’autres encore. C’est un bon religieux espagnol, qui m’a dirigé et dont je continue à suivre fidèlement tous les conseils. Allez, mon cher docteur, je suis définitivement converti ; j’ai fait, cette année, mes pâques. Il y a trois jours encore, je priais pour vous la Reine des reines, la consolatrice des affligés, en revenant de la Sainte-Table…

« … Ah ! voyez-vous, vous ne sauriez croire combien je reprend des forces, depuis que j’ai la conscience tranquille ; ces grosses émotions avaient influé même sur ma santé, sans compter que je serais devenu fou, si ça avait continué. Je n’oublierai jamais le bien que vous m’avez fait, surtout le bien moral. Oh ! que je vous suis reconnaissant ! je vous dois le double salut…

« … Je vous envoie, d’autre part, ce que vous m’avez demandé ; mais ce qui est d’écrire des mémoires, oh non ! jamais ! jamais ! Je veux dire de les publier ; oh ! non. J’ai barbouillé des feuilles sur une grosse affaire du F∴ Hobbs. Son père, l’artiste, valait mieux que lui. Je sais quelqu’un qui l’a connu tout enfant à Londres, et quelqu’un autre à Paris. J’ai des renseignements étonnants sur ses débuts en maçonnerie ; à cause de son père, il était lowton. Mais le père n’était pas une canaille ; lui jeune, il était déjà pourri de vices. Expliquez-ça avec votre système d’atavisme ! j’en donne ma langue au chien, comme vous dites.

« L’histoire du Hobbs, je l’écrirai, et d’autres aussi. Seulement, je confierai ça au bon père, avec la recommandation qu’on ne publiera rien, tant que ma femme et mon enfant vivront. On les tuerait, comme ils me tueraient s’ils me tenaient. Les gredins ! Voyez-vous, je suis heureux et tranquille, et je ne m’ennuie plus d’être ici. C’est les commencements seuls qui étaient monotones ; mais j’ai bien fait de me marier. C’est une si bonne femme que j’ai ! Le petit a maintenant trois ans, depuis le mois dernier ; il dit sa prière comme un ange.

« Oh ! quand je les vois, ma chère Rosa et le petit, je ne comprends pas d’avoir été si longtemps si bête dans la direction de ma vie. Oh ! non, je n’exposerai jamais ces trésors d’amour, pour publier un livre des révélations que vous dites : ça attirerait